2. Briser les clichés du Paris des touristes



« Ah ! Paris, quelle belle ville ! » Ouvrons un guide pour touristes pressés… Quels lieux « incontournables » trouverons-nous ? Les retrouverons-nous dans le roman et dans le film ? On se doute de la réponse.

 

  1. Les lieux parisiens dans le roman

    Dans le roman, même si treize des quatorze occurrences du mot « rue » ne sont pas accompagnées de noms, le narrateur cite plusieurs lieux connus, sans jamais les décrire, mais créant ainsi un effet de réel.

    Outre tous ceux sur lesquels Charles et Gabriel ne sont décidément pas d’accord, on peut trouver :

    • des gares et des monuments, qu'ils contemplent du haut de la tour Eiffel (non nommée) : « Ils rêvèrent un instant en silence en regardant le Sacré-Cœur », « Charles se tournant d'un autre côté s'absorba dans la contemplation des flèches de Sainte-Clotilde, œuvre de Gau et Ballu ». On peut ajouter les Halles (qui avaient encore leurs pavillons Baltard !) : « N'empêche que sa mère me l'a pas confiée pour qu'elle traîne entre les Halles et le Château d'Eau ».

    • des rues et des boulevards connus : « Moi, je [Gabriel] connais une brasserie boulevard Turbigo où ça coûtera infiniment moins cher » (Le boulevard Turbigo n’existe pas mais la rue Turbigo oui) ; « Alors la veuve proposa de commémorer sur-le-champ cette rencontre en asséchant un glasse et de pénétrer à cette fin dans la salle de café du Vélocipède boulevard Sébastopol » ; « Car il (Trouscaillon] habitait rue Rambuteau ».

    • la place Pigalle : « Deux divisions blindées de veilleurs de nuit et un escadron de spahis jurassiens venaient en effet de prendre position autour de la place Pigalle. »

    • et deux stations de métro correspondant à des places fameuses, Étoile et Bastille : « Ça y est, dit doucement l'autre. Le métro remarche. Toi, Gridoux, prends la direction Étoile et toi, Turandot, la direction Bastille.»

    Ces lieux créent un espace référentiel : Zazie est bien à Paris, pas dans une ville imaginaire… Elle se trouve bien dans la ville du Sacré-Cœur et de la place Pigalle… Et pourtant, si on regarde un guide touristique, on trouvera en premier lieu… la tour Eiffel, que Queneau ne cite pas dans le chapitre où ses personnages s'y rendent, et surtout ces lieux que Gabriel et Charles ne savent pas situer : les Invalides, le Panthéon, la Sainte-Chapelle « joyau de l’art gothique », lieux pourtant chargés d’histoire…

    Contempler Sainte-Clotilde, joyau du néogothique… pourquoi pas ? Mais confondre la Sainte-Chapelle, joyau de l’art gothique avec le Tribunal de commerce, édifié en 1866, relève franchement de la satire. Sa façade nord (celle que l’on voit du quai de Corse) est largement composite, et surtout sa coupole octogonale reproduisant celle de l’église de Brescia (souvenir de la victoire de l’Empereur) ressemble fort peu à l’élégante flèche de la Sainte-Chapelle. Et si Gabriel propose à Zazie de voir aux Invalides « le tombeau véritable du vrai Napoléon », c’est pourtant le Tribunal, dont la coupole a été érigée à la gloire de Napoléon III, le faux Napoléon, qu’il présente aux touristes venus admirer la Sainte-Chapelle.

    Basilique Sainte-Clotilde
    © Lionel Labosse

    Sainte-Chapelle
    Cliché Wikipedia

    Tribunal de commerce
    © Marie-Françoise Leudet

     

  2. Les lieux parisiens dans le film


    Si l’on excepte la concentration des lieux de tournage dans le Xe arrondissement, en particulier autour de l'église Saint-Vincent-de-Paul, on constate que les monuments récurrents ou longuement utilisés dans le film sont emblématiques du tourisme parisien, mais qu’ils sont détournés, ou bien traités de façon à renouveler le regard qu’on porte sur eux, et même le plus souvent filmés de façon qu’on les reconnaisse à peine. Explorons donc un peu cet original terrain de jeu...

     

    1. La tour Eiffel, un manifeste pour une nouvelle esthétique

      Nous avons consacré toute une étude à la séquence de la tour Eiffel, aussi synthétiserons-nous ici rapidement les conclusions auxquelles nous sommes parvenues.

       

      1. Déconstruction/reconstruction cubiste

        Le début de la séquence commence par une série de cartes postales, comme jetées en vrac : la tour Eiffel y prend les poses que lui donnent volontiers les touristes du monde entier, mais a la fantaisie de se tordre dans tous les sens, et même de s'afficher la tête en bas. Voici les six derniers de ces neuf plans :



        Secouant littéralement les clichés dans tous les sens pour aboutir à un collage qui rappelle le cubisme, Louis Malle affiche d'emblée la couleur : c'est bien la tour Eiffel que l'on va voir, mais une vieille dame de fer qui a gardé encore toute sa fantaisie.

         

      2. Le recours à un mouvement de caméra virtuose pour exprimer le vertige

        Ce qui caractérise surtout la tour Eiffel, c'est sa hauteur, sa verticalité, et le vertige qu'elles provoquent. Mais comment un touriste peut-il en rendre compte avec les moyens photographiques qui sont les siens en 1960 ? Quelques plongées ou contre-plongées ? Malle joue ici à fond de l'avantage que lui confère le cinéma, et, s'inspirant d'une scène du film américain The Lavender Hill Mob de Charles Crichton (1951), il filme en travelling vertical virtuose une vertigineuse descente d'escaliers à vis :

         

      3. Un hymne au nonsense et à la poésie

        Et surtout, la verticalité de la tour inspire à Malle l'une des séquences les plus humoristiques et poétiques de toute l'histoire du cinéma : enivré par l'air des cimes, Gabriel se lance dans une ascension délirante, dansant comme un funambule au milieu des poutrelles de fer, aspergé par une vague improbable, gelé comme un ours polaire, mais léger comme l'un de ces ballons avec lesquels il va redescendre pour atterrir sur un tas de sable. Robert Stevenson connaissait-il Zazie dans le métro lorsqu'il réalisa en 1964 une Mary Poppins aussi délicieusement inventive et déjantée ?


         

    2. Monuments et places emblématiques : kekcekça ?

      1. Des confusions récurrentes de monuments mondialement connus

        Nous avons déjà évoqué les débats de Gabriel et Charles à propos des monuments les plus connus de Paris : Invalides, Panthéon et Madeleine entre autres. Leur déconstruction parodique repose dans le film sur deux formes de comique essentiellement :

        • le burlesque, dans la mesure où ces lieux chargés de mémoire nationale sont confondus avec une église qui n'a laissé de traces bien glorieuses ni dans l'Histoire ni dans l'histoire de l'art.
        • le comique de répétition, parce que c'est à Saint-Vincent-de-Paul que l'on revient invariablement, l'apothéose étant atteinte lorsqu'à la fin d'un périple rendu endiablé par le montage, le bus Cityrama parvient au terme de sa quête, la Sainte-Chapelle « joyau de l'art gothique »... encore et toujours l'église Saint-Vincent-de-Paul décidément multifonctions.

         

      2. Devinette dans le style des futurs jeux télévisés

        D'autres lieux sont ignorés non pas par les protagonistes mais par le réalisateur lui-même qui, s'il les connaît bien, les occulte partiellement, en ne les montrant que par le tout petit bout de la lorgnette, en les décadrant - le plus souvent en dirigeant sa caméra vers le bas, pour couper ce qui rendrait reconnaissable tel ou tel monument. Il faut alors jouer aux devinettes, en étant attentif aux détails de l'arrière-plan, et c'est ce qu'ont fait les deux Parisiens de l'équipe, Marie-Françoise Leudet et Lionel Labosse, qui seraient aujourd'hui champions toutes catégories d'un jeu de piste télévisé :


        Statues sur guérites de huit villes de France
        Place de la Concorde

        Façades classiques d'Hardouin-Mansart et base
        de la statue de Napoléon - Place Vendome

        Base moulurée et plots reliés par des chaînes
        Arc de triomphe place de l'Etoile

        Bas-relief en légère saillie
        Porte de Saint-Denis

        Eglise américaine et arcades du RER C
        Pont de l'Alma

        Groupes sculptés nombreux et spectaculaires
        Pont Alexandre III

         

      3. Quartier Pigalle : encore un symbole touristique détourné

        Même les hauts lieux des virées bâille-naïte n'échappent pas à la moulinette mallienne, qui les transforme en espaces ludiques :

         

        a) Devinette : où sommes-nous ?

        Plan 666 - Reflet du Moulin-Rouge

        Moulin-Rouge - © Lionel Labosse

        Ce sont les reflets des néons sur le capot de la voiture où s'endort Zazie qui peuvent nous l'apprendre : on y lit en effet les trois dernières lettres inversées du logo du Moulin ROUGE... Détail étonnant : la typographie du titre n'a pas changé depuis 1960. Nous nous trouvons donc sur la place Blanche, à une station de métro de la place Pigalle. Mais de la façade du cabaret légendaire et des ailes de son moulin, nous ne verrons décidément rien.

         

        b) Allusion parodique à un autre film de 1960

        La place Pigalle en 1950

        La place Pigalle en 1960



        Si la place Pigalle est célèbre pour les cabarets et les boîtes de nuit qui la bordent, elle l'est aussi pour sa fontaine, abondamment célébrée par les peintres. Pourtant ce n'est pas le pittoresque (très relatif) de cette vasque qui intéresse Louis Malle, mais plutôt le parti qu'il peut tirer de son jet d'eau. La petite chute d'eau lui permet en effet une allusion (rendue parodique par le parapluie et le manque de glamour des deux protagonistes) à la scène mythique de la fontaine de Trevi dans La Dolce Vita de Federico Fellini. Ce film italien est sorti sur les écrans le 11 mai 1960, soit quatre jours avant la fin du tournage de Zazie : Malle a-t-il eu le temps de le voir, ou s'est-il inspiré des reportages que de nombreux magazines n'ont pas dû manquer de publier sur le couple vedette que formaient à l'écran Anita Ekberg et Marcello Mastroianni ?

         

        c) Délires surréalistes

        Enfin cette fontaine sert de toile de fond à une farandole onirique regroupant tous les protagonistes et inaugurant la séquence du rêve de Zazie.



        Sans aller chercher trop de logique, puisqu'il s'agit d'un rêve, on peut tout de même trouver édifiant le rapprochement de ces deux séries de photogrammes : s'il s'agit bien de la même fontaine, elle présente une différence d'échelle singulière d'une scène à l'autre. Gigantesque dans la scène parodique de Trevi, elle retrouve une taille plus normale dans la scène de farandole. Or en l'occurrence, c'est l'échelle apparemment normale qui ne correspond pas à la réalité ! la fontaine de Pigalle est bel et bien gigantesque... Il semble donc qu'une fois de plus Malle le magicien ait joué avec le pouvoir illusionniste du cinéma...

         

    3. Le parcours de Gabriel le long des berges de la Seine et visite des ponts

      Une autre scène va nous permettre de comprendre comment Louis Malle crée un effet de réel paradoxal, puisqu'il nous fait côtoyer des lieux célèbres sans nous les montrer, dans un parcours qui, s'il a l'air linéaire à première vue, est en fait totalement erratique et aberrant...

      Résumons. Abandonnés par Charles, le taximane, à la tour Eiffel (rive gauche), Gabriel et Zazie en sont réduits, en ce jour de grève de métro, à regagner à pied le centre de Paris. En trois plans liés par le raccord-son du dialogue, ils traversent les embouteillages de la place du Canada (rive droite, à côté du Grand-Palais) puis de la Concorde, et s'arrêtent un peu plus loin sur un banc : ils ont déjà bien marché ! Ils font ici la connaissance de la veuve Mouaque, dont la Simca bleu lavande, prise dans les embouteillages, ne va pas leur être d'un grand secours, et ils décident de continuer leur chemin, talonnés par la veuve Mouaque, en passant par les berges de la Seine.

       

      1. Un segment de quais le long de la Seine

        La scène suivante donne, à première vue, une impression de continuité assurée

        • par une apparente unité de lieu : le trio avance le long des berges de la Seine, d'abord filmée en arrière-plan, puis à droite du champ. Un intermède burlesque avec Trouscaillon sur le pont Bir-Hakeim est soigneusement cadré par une double plongée montrant le trio en contrebas sur le quai, d'abord à droite du pont puis à gauche, une fois qu'il l'a dépassé.

        • par une apparente unité de temps : le dialogue des trois personnages sert de raccord-son en continu jusqu'à l'interruption de Trouscaillon. La scène dans son entier dure deux minutes.

        • par une relative unité d'action : Gabriel, excédé par les questions insistantes de Zazie (sur sa supposée « hormosessualité ») et par les interventions moralisatrices de la veuve Mouaque, passe ses nerfs sur un pauvre diable qui lave sa voiture, et à qui il claque les fesses une première fois, qu'il repousse au loin une deuxième et qu'il frappe une troisième avec suffisamment de violence pour le faire pirouetter sur lui-même... Chaque fois, la veuve Mouaque tente rapidement de s'excuser auprès de la victime avant de revenir à la charge auprès de Gabriel. La quatrième fois, lorsque le trio dépasse le pont Bir-Hakeim, le permanent est toujours là avec sa voiture, mais cette fois hors de portée des baffes...

        C'est d'ailleurs cette permanence, théoriquement garante de continuité, qui finit par intriguer, puisque le comique de répétition la déréalise et oblige à y regarder à deux fois... Retournons donc en arrière, et usons de l'avantage du DVD sur la projection dans une salle de cinéma.

         

      2. En réalité, un ensemble de lieux décadrés et totalement dispersés

        Si nous capturons les cinq photogrammes qui correspondent à cinq changements manifestes de plans, nous pouvons identifier cinq lieux différents de tournage :

        Plan 478

        Près du pont des Arts - © Lionel Labosse

        Plan 479

        Pont au Double - © Marie-Françoise Leudet

        Plan 480

        Pont des Arts et pont Neuf - © MF Leudet

        Plan 481

        Pont du Carrousel - © MF Leudet

        Plan 490

        Pont Bir-Hakeim - © Lionel Labosse



        Le seul nom de ces ponts est évocateur, même pour un provincial, et si l'on consulte la fiche sur laquelle nous avons récapitulé tous les monuments délibérément occultés par le réalisateur, on verra qu'il s'est dispensé de nous montrer Notre-Dame de Paris, l'île de la Cité, le Louvre, etc. Les ponts se sont donc succédé, reconnaissables à certaines de leurs caractéristiques, mais toujours pris dans des cadrages si serrés qu’on ne peut en apercevoir qu’une infime portion… Nous sommes loin d’une anthologie des ponts parisiens et des monuments qui les entourent !

        D’autant qu’il faut y ajouter une sorte de flou artistique… et un affreux mélange de directions, que nous pouvons synthétiser sur cette carte : partis de la tour Eiffel, Gabriel et Zazie ont commencé leur périple sur les quais rive droite (1), frôlé l'île de la Cité rive gauche (2) puis rebroussé chemin à nouveau rive droite (3 et 4) de manière à se retrouver plus loin encore que leur point de départ (5) ! Mais pris par l'illusion de la continuité, le spectateur n'y a vu que du feu.

Carte réalisée à partir de Googlemaps - © Agnès Vinas

 

  1. Retour au point de départ !

    Le plus abracadabrant dans ce parcours dont on voit bien qu'il défie tout réalisme topographique, c'est qu'au terme de ce périple sur les bords de la Seine, Zazie et la veuve Mouaque, cette fois abandonnées par Gabriel que le bus Cityrama a embarqué, se retrouvent exactement à leur point de départ : le banc et la colonne Morris. Elles n'ont plus qu'à reprendre la Simca bleue lavande de la veuve bloquée dans les embouteillages, et avec l'aide de Trouscaillon la poursuite des guidenappeurs peut commencer.


    Plan 475

    Plan 500

     

  1. Le métro

    Enfin dernier lieu emblématique (et pour Zazie LE seul qui vaille la peine de se déplacer à Paris), le métro est dans le film — autant que dans le roman — traité de manière aussi peu touristique que possible.

     

    1. Une bouche close... et déjà taguée

      Grève de 1947 à Saint-Lazare- © Roger-Viollet

      Grève de 1947 (détail) - © LAPI / Roger-Viollet

      plan 37

      © Lionel Labosse


      La première rencontre de Zazie avec le métro devant la gare de l'Est nous rappelle avec une certaine ironie que le métro de Paris est célèbre dans le monde entier pour... ses grèves. La première remonte à 1901, et celle de 1947, qui était loin de ne concerner que le personnel du métro, était encore dans les mémoires en 1959/60. Malle trouve ici la seule occasion de son film de jouer un peu avec l'orthographe, puisqu'à la différence de Queneau, son langage est fait d'images et non de mots. On voit que les tags existaient déjà en 1960 : ceux que Lionel Labosse a photographiés n'ont rien à leur envier.

       

    2. Une autre entrée bien plus pittoresque, mais tout aussi inaccessible

      Plan 165

      Plan 166a

      Plan 166c

      Plan 167



      La deuxième rencontre de Zazie avec le métro aurait pu donner lieu dans le film à un traitement plus touristique, dans la mesure où la bouche choisie est cette fois-ci le spectaculaire pavillon Guimard de la Bastille, de style Art Nouveau et d'inspiration extrême-orientale (détruit en 1962). Pourtant Louis Malle ne le choisit pas, à l'évidence, pour ses qualités esthétiques mais plutôt cinématographiques : l'existence de deux entrées lui donne la possibilité de filmer la déconvenue de Zazie depuis l'intérieur, en contre-plongée. Bloquée à une porte, la fillette part en courant sur la gauche : la caméra effectue alors un panoramique droite/gauche à 90°, pour la saisir en train de tambouriner à la deuxième entrée, tout aussi close que la première. Cet angle de vue très original pose la question du regard cinématographique, comme l'a très bien vu Lionel Labosse, et l'interprétation d'un tel traitement devra être reprise lorsque nous travaillerons sur la dimension symbolique de certains lieux.

       

    3. Un escalier mécanique assez miteux



      Lorsqu'enfin Zazie est en situation de prendre le métro, elle s'est évanouie : la violence qui s'est déchaînée à l'arrivée d'Aroun Arachide et de ses chemises noires, et la mort de la veuve Mouaque qui s'en est suivie, ont eu raison des nerfs de la fillette. Le groupe de Gabriel et ses amis s'évade fort opportunément de la cave de la brasserie dans le métro, qui se remet tout aussi opportunément à fonctionner. Mais il n'est pas sûr que cet escalier mécanique miteux aurait beaucoup emballé Zazie. A l'évidence, ce n'est pas pour la beauté des faïences de Gien blanches émaillées, certes emblématiques du métro parisien mais sans rapport avec la somptuosité des stations du métro moscovite par exemple, que Queneau a donné une telle importance à ce fameux métro.

       

    4. Et enfin le métro, oui... Mais l'aérien... pas "le vrai" !

      Plan 58

      Métro Stalingrad - © Lionel Labosse

      Plan 885

      Quai de la Râpée - © Lionel Labosse



      Certes, Zazie a déjà vu le métro dès son arrivée : le tac de Charles a longé la station Stalingrad. Mais :

      ZAZIE - Le métro, le métro, le métro, le métro ! C'est sous terre, le métro. Non, mais...

      GABRIEL - Çui-là, c'est l'aérien.

      ZAZIE - Alors c'est pas le métro.

      GABRIEL - Je vais t'esspliquer. Quelquefois il sort de terre... ensuite il y rerentre.

      ZAZIE - Des histoires ! tu dis jamais la vérité.

      GABRIEL - La vérité, la vérité ! comme si tu savais cexé, la vérité ! Comme si quelqu'un au monde savait cexé !





      Zazie dort à présent dans les bras d'Albertine/Albert et ne s'aperçoit pas que le poinçonneur ressemble étrangement à un certain Pédro-Surplus / Trouscaillon / Bertin Poirée / Aroun Arachide. Peut-être a-t-elle compris qu'on ne l'atteint jamais, la vérité ? Elle a en tout cas appris la déception, la frustration de ses désirs, les limites de l'être humain. Est-ce cela, la leçon de ce métro qu'elle n'a pas conscience de prendre, alors que les réponses à certaines de ses questions pourraient être à sa portée ? On est en tout cas bien loin d'une visite touristique.

       

    Ainsi Queneau comme Malle refusent-ils tout pittoresque, parce qu'ils ont à poser des questions autrement importantes. Les lieux parisiens subissent avec eux le même sort que la tragédie, l'épopée et les formes littéraires canoniques chez Queneau, ou le cinéma de qualité vieille France chez Malle. Ils sont sinon pastichés ou parodiés, du moins détournés de leur symbolique habituelle, par amplification, dissimulation ou annulation. Les clichés doivent être dynamités, ou on peut en tout cas jouer avec eux, mais aucune certitude ne saurait les remplacer : nous sommes à cette époque-là dans l'ère du soupçon.


© Marie-Françoise Leudet et Agnès Vinas