L'église Saint-Vincent-de-Paul et ses environs : un lieu multifonctions


 

Carte réalisée d'après Google maps - © Agnès Vinas

 

Un monument décidément impossible à identifier

© Lionel Labosse

L'église Saint-Vincent-de-Paul, située place Franz Liszt dans le Xe arrondissement, a indiscutablement trouvé ses lettres de noblesse cinématographiques dans le film de Louis Malle, au point d'en partager la vedette avec la tour Eiffel : c'est dire ! Il paraît qu'elle sert très souvent de cadre de tournage, dans un quartier dont les environnements immédiats ont été classés aux Monuments historiques et donc préservés des ravages de la modernisation à outrance.

Mais avant d'avoir les honneurs du cinéma, elle est apparue comme une figurante anonyme dans l'un des textes les plus importants de la littérature contemporaine, Nadja d'André Breton (1928/1963) : c'est elle en effet à laquelle Breton fait allusion lorsqu'il mentionne, au moment de sa rencontre décisive avec Nadja, « ce carrefour dont j'oublie ou ignore le nom, là, devant une église ». L'église en question, c'est bien Saint-Vincent-de-Paul.

Avec son fronton de temple grec hexastyle et ses deux clochetons symétriques, ce lourd monument néo-classique construit de 1824 à 1844 est suffisamment composite pour offrir une vague ressemblance avec d'autres monuments parisiens que les deux protagonistes, Gabriel et Charles, s'obstinent à ne pas savoir reconnaître : Panthéon, Invalides, Madeleine, tout y passe, même la caserne Reuilly et la Sainte-Chapelle. Cette récurrence absurde produit un fort effet de déréalisation, qu'il faut rapprocher de la mise en doute généralisé commune au romancier et au cinéaste,

Mais Louis Malle, profitant d'un environnement favorable, ne s'est pas limité à filmer à maintes reprises la façade problématique : il a aussi tiré profit du square et de la rue Bossuet toute proche pour situer d'autres scènes de son film.

 

Le jardin devant l'église, cadre des amours torrides de la veuve Mouaque

© Lionel Labosse

Plans 601 et 603

La rampe d'accès de l'église, aménagée pour les calèches à l'origine, a été transformée en jardin à étages inauguré en 1867. C'est dans le kiosque de ce square pittoresque (et peut-être plus romantique la nuit en 1960 qu'aujourd'hui) que s'achève la folle aventure de la veuve Mouaque avec Trouscaillon - et que se précise l'apprentissage de Zazie, qui les a quelque peu espionnés...

 

Au bout de la rue Bossuet, le cabaret de Gabriel, le Paradis

Plan 546

© Lionel Labosse

Plan 552

© Lionel Labosse

Louis Malle a exploité le dénivelé de la butte sur laquelle est perchée l'église Saint-Vincent pour accentuer l'effet d'ascension de Gabriel vers sa boîte de nuit : en écrasant le jardin du square au télé-objectif et en contreplongée, il bouche la totalité du champ et suggère une hauteur qui n'est pas si importante que cela en réalité. Filmée elle aussi en contreplongée, la boîte du Paradis est un décor fictif qui bouche la perspective au sommet des escaliers de la rue Bossuet. Elle semble ainsi quelque peu hors du monde, loin de la ville, ce qui ne correspond pas à l'idée qu'on peut se faire des lieux de plaisir situés plus au nord-ouest, sur les boulevards.

 

La rue Bossuet, lieu de l'arrivée des invités et de l'arrestation de Bertin-Poirée

Plan 692

© Lionel Labosse

Plan 731

Plan 735

Filmée cette fois d'un point de vue surplombant, la rue Bossuet apparaît comme une voie dont la courbe épouse celle des anciennes rampes d'accès de l'église, et dont l'entrée semble plus étroite qu'elle ne l'est en réalité. Louis Malle en joue pour y enfourner de plus en plus de monde et de véhicules après la soirée donnée par Gabriel ; il y situe aussi l'arrestation de Bertin-Poirée, avec l'arrivée de véhicules de police et même d'un panier à salade. Ce faisant, il reproduit en décor réel le même gag visuel réalisé quelques instants plus tôt dans la loge de Gabriel, qui s'était remplie d'une manière totalement irréaliste. Ce gag est manifestement emprunté à un film des Marx Brothers, A Night at the opera (1935).

 


© Marie-Françoise Leudet, Lionel Labosse et Agnès Vinas