Man Ray - Belle main, 1937

Man Ray - Belle main, 1971



Ce joli dessin daté de 1937 a donné lieu en 1971, comme neuf autres, à une reprise en bronze assez réussie et trop peu connue. La sculpture en volume permet de mieux saisir la fusion surréaliste d'une main ouverte, la paume tournée vers le haut, avec une figure féminine nue aux longs cheveux, lovée dans cette paume, et dont les bras relevés au-dessus de la tête se confondent avec les doigts de la main. L'image est gracieuse et sensuelle, et n'appelle pas d'interprétation particulière.


Ce genre d'image est fréquent chez Man Ray : il semble qu'il ait possédé plusieurs mains de mannequin, qu'il a photographiées dans la même position ouverte, avec des objets différents.


Man Ray - Lézard sur une main
en bois articulée
, v.1930

En haut - Man Ray - Le mystère du château de Dé, 1929
En bas - Man Ray - Pipe sculptée et main en bois, v.1930

 

Man Ray - Main Ray, 1935

C'est aussi une main semblable qui a servi pour la composition de 1935 que possède le Musée d'Israël à Jérusalem, dans la collection d'Art dada et surréaliste de Vera et Arturo Schwarz.

Intitulée Main Ray, elle constitue par son jeu de mots un autoportrait de Man Ray, qui se définit par métonymie comme une main humaine tenant entre ses doigts la boule du monde (ou du soleil dans certains dessins).

L'artiste selon Man Ray doit être un homo faber, un artisan qui s'empare d'éléments de la réalité pour les retravailler à sa manière ; à la différence de Marcel Duchamp, qui opère un travail de sape essentiellement linguistique en se contentant de renommer ses readymade, Man Ray en choisit deux, qu'il sépare de leur environnement d'origine pour les assembler dans une nouvelle composition signifiante. Ainsi, une main détachée de son mannequin et une boule séparée de son billard peuvent-elles produire, selon les termes bien connus de Lautréamont, un objet « beau comme la rencontre fortuite d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection ».

Mais loin des associations surréalistes fortuites et souvent énigmatiques, celle-ci est d'une grande simplicité : l'artiste est un démiurge, qui peut avec sa main se saisir de la totalité du monde pour nous le donner à voir autrement.


Ainsi peut-on voir dans le dessin de « Belle main » non pas une mais deux de ces mains magiques : une main semi-ouverte suffisamment douce et accueillante pour rassurer la femme qui n'hésite pas à s'y abandonner, à y « lézarder »... Et celle de l'artiste qui parvient à suggérer, d'un trait de plume épuré et par la simple superposition de deux images d'échelles différentes, une atmosphère sensuelle, une utopie de fusion des êtres, bien loin de la violence prédatrice de la main du couple précédent, « Pouvoir », qui agrippe, violente et emprisonne. Et donc une atmosphère qui annonce celle du couple suivant, qui va clore la première partie du recueil des Mains libres : « Liberté ».



© Agnès Vinas
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© Man Ray Trust / ADAGP
© RMN
© Israel Museum, Jerusalem - Avshalom Avital