Structure narrative et rhétorique

1. Analyse préliminaire

  1. Introduction = situation initiale
    Contexte militaire européen : la bataille décisive contre l'Axe se prépare et va donner à la France "l'occasion de gagner sa part de victoire et de rendre du lustre à ses armes" [allégorie classique + métaphore guerrière].

  2. Analyse : l'état de la situation pour la France (schéma actantiel possible)

    1. Intentions de de Gaulle (= Objet : "mes intentions" / "j'entendais", "j'espérais", "je voulais" [rythme ternaire, trisyllabes et rime intérieure scandant sa détermination])
    • obtenir grâce à une participation efficace des forces militaires françaises des bénéfices à la fois intérieurs et internationaux
    • dans le cadre d'une collaboration militaire avec les alliés
    • mais [antithèse restrictive] dans les limites de l'intérêt supérieur de la patrie car "la France mettait en jeu tout son destin" [allégorie classique + métaphore césarienne (alea jacta est)+ leitmotiv tragique du destin]

    2. Opposants : "les gouvernements de Washington et de Londres" et le commandement militaire anglo-américain qui monopolisent indûment les décisions.
    [De Gaulle prépare ici ce qui sera l'un des axes directeurs de ce chapitre : il a paradoxalement usé plus d'énergie à se défendre de ses alliés qu'à attaquer Hitler... Thème du double front qui l'apparente à Hercule, dompteur de monstres mais persécuté par certains des dieux].

    3. Adjuvants (présentés suivant une logique de cercles concentriques, par élargissements numériques et géographiques successifs = procédé épique d'amplification)

    • de Gaulle lui-même et son esprit de résistance : "je serais amené à intervenir dans le domaine stratégique", "il me faudrait, à l'occasion, forcer la main au commandement, voire même employer nos troupes en dehors du cadre allié" [métaphores de la transgression héroïque + futur dans le passé à valeur prophétique]

    • l'état-major et les ministres [énumérations] traitant les "difficultés inhérentes à une nation dépouillée de ses moyens de guerre et qu'il fallait faire réapparaître sous l'armure, l'épée à la main" [allégorie classique + métaphore guerrière d'inspiration médiévale + double antithèse en gradation : nu/protégé et défensif /offensif]

    • pour mettre en application le vaste plan d'ensemble stratégique des forces alliées [énumérations + hyperboles], les différents corps d'armée des Forces Françaises Libres à l'intérieur du dispositif [dans tout ce secteur du texte, énumération emphatique de données chiffrées, de toponymes, de noms de généraux]

      • armées de terre. Trois théâtres d'opérations principaux :
        • le Rhin
        • les Alpes
        • l'Atlantique
        "Pour la France, hélas ! c'était peu, relativement au passé. "Allah ! qui me rendra ma formidable armée ?" [citation explicite mais non référencée de Victor Hugo - Les Orientales - "La bataille perdue"]

      • aviation [même type d'énumérations que ci-dessus]
      • marine [énumérations de types de navires et des noms de certains d'entre eux]

 

2. Narration par séries réitératives (les travaux d'Hercule ou le supplice de Sisyphe)

[Structure chronologique factuelle, étayée par des dates et caractérisée par le même type de présentation stratégique apparemment objective : on suit la progression des divers corps d'armée sur la carte d'état-major. Mais une analyse de la structure narrative et des procédés rhétoriques met en évidence une volonté marquée d'amplification épique et de mythification. Pendant que les troupes alliées livrent une bataille dantesque contre la redoutable armée allemande, le chevalier de Gaulle doit de son côté livrer au commandement américain (politico-militaire) une bataille non moins héroïque pour défendre la France de l'abandon et/ou de la relégation à un simple strapontin.]

 

  1. La première bataille : la bataille d'Alsace

    1. Des succès français fulgurants en deux temps

      • la Iere Armée française de de Lattre et les Vosges. [Amplification épique] :
        • "Son chef, le général Brosset, combattant digne de la légende, a péri au cours de l'avance" [élargissement mythique]
        • "En quinze jours, la Iere armée a tué 10000 Allemands, fait 18000 prisonniers, enlevé 120 canons" [rythme ternaire, asyndètes, globalisation et amplification numériques, antithèse rapidité/ampleur de la réussite]

      • la 2eme DB de Leclerc et Strasbourg.
        [Plusieurs techniques pour créer un effet de rapidité prodigieuse :
        • "Leclerc s'élance." [réduction syntaxique au sujet et à un verbe de mouvement + synecdoque : Leclerc = la 2eme DB commandée par Leclerc].
        • "Le 18 novembre", "le 22 novembre", "le 23 novembre", "au milieu de l'après-midi" [énumération des repères temporels avec effet d'accélération. La fin des opérations est traitée en prolepse, au futur, pour suspendre le temps au moment privilégié de la libération : "ils seront pris en quarante-huit heures", "le général von V. capitulera le 25 novembre"].
        • "Si rapide est l'avance des nôtres,
          si imprévus sont leurs axes de marche par Cirey, Voyer, Rehtal, Dabo,
          que les fractions ennemies rencontrées sont presque partout surprises, capturées ou mises en déroute [amplification progressive de la période jusqu'à son apogée en rythme ternaire, rendant d'autant plus ironique et paradoxale la cadence finale, en nette rupture rythmique :]
          au point que nos colonnes doublent souvent celles des fuyards"
        • "Les nôtres sentent se lever le vent de la victoire" [métaphore + allitération en fricatives dynamiques]

        [Et les techniques épiques habituelles pour insister sur la disproportion numérique et donc l'éclat de la victoire du petit sur le géant :
        • "Il leur faut [...] briser [...] la résistance d'une garnison dont l'effectif dépasse le leur et qui s'appuie sur des ouvrages puissants". Et quinze lignes plus bas : "Les casernes et bâtiments publics occupés par 12000 militaires et 20000 civils allemands se rendent presque aussitôt".
          [En élidant la description des combats et en juxtaposant quasiment la mention d'une situation impossible et son issue victorieuse, de Gaulle cherche à retrouver l'effet de dénouement miraculeux produit par Victor Hugo dans plusieurs de ses poèmes :
          • "A la septième fois, les murailles tombèrent" (Les Châtiments - "Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée")]
          • "Le lendemain, Aimery prit la ville" (La Légende des Siècles - Aymerillot)

        • "Un frisson parcourt l'assistance, élevée soudain tout entière au-dessus d'un quelconque débat. Les armes ont cette vertu de susciter, parfois, l'unanimité française".
          [la dramatisation de l'annonce de la nouvelle au cours d'une séance de l'Assemblée consultative souligne d'un trait appuyé la miraculeuse concorde des politiciens, subjugués par la gloire des armes et l'importance symbolique - effective - de la récupération de Strasbourg].

    2. "CEPENDANT" [connecteur d'opposition créant le premier effet de chute brutale après l'arrivée aux sommets (d'où la structure sisyphéenne du chapitre)] : plusieurs éléments perturbateurs successifs :
      • la résistance allemande, en particulier dans la poche de Colmar, mais aussi ailleurs sur le front
      • la rigueur de l'hiver et l'activité des sous-marins allemands, causes de ralentissements
      • la contre-offensive allemande dans les Ardennes, qui tarit à peu près toutes les sources d'approvisionnement militaires
      Conséquences : découragement des forces en Alsace

    3. REACTION de de Gaulle
      1. Analyse
        • "J'en suis soucieux mais non surpris" [octosyllabe, isocolon (4/4) => lucidité du chef]
        • Résistance allemande prévisible (grandir l'ennemi permet dans l'épopée de grandir aussi celui qui finit par le vaincre)
        • Opportunité de peser plus lourd dans la balance (caractéristique gaullienne, l'art de profiter des occasions et même des contre-temps), si on garde le moral MAIS
          [énumération d'arguments additionnés par les connecteurs logiques habituels = critique, traditionnelle chez un militaire, de la mentalité des civils de l'arrière]
          • L'opinion publique se désintéresse des aspects militaires et de la fin de la guerre, du moment qu'on est libéré.
          • Elle s'en désintéresse d'autant plus que pour elle ce sont les troupes alliées et non françaises qui sont concernées.
          • L'attitude de Vichy et sa capitulation en 1940 n'arrangent pas l'image de l'armée.
          • Enfin la presse et la politique n'ont guère la plume épique et se préoccupent de sujets plus intéressants.
          • De sorte que l'armée perçoit très bien le désintérêt de la nation.

      2. Passage à l'action
        • renforcement des effectifs
          [métaphore pittoresque mais saugrenue : "Avec de bons jardiniers, la plante militaire est toujours prête à fleurir" : De Gaulle a-t-il en tête l'image de la fleur au fusil ?]
          Défilé militaire : "Quinze mille regards de fierté se tournent vers moi, tour à tour".
        • tournée des troupes à Noël [énumération de toponymes, d'intervenants civils et militaires et de numéros de divisions]
          Scène de foule à Mulhouse : "Cependant, là comme ailleurs, la population se montre vibrante de patriotisme".

    4. OR nouvel élément perturbateur : décision du commandement allié de replier les troupes sur les Vosges et d'évacuer l'Alsace pour arrêter puis contrer l'offensive allemande [paragraphe objectif de stratégie militaire : mouvements des grands corps d'armée désignés par leurs généraux sur la carte d'état-major].

    5. REACTION de de Gaulle en champion de la France évitant de reproduire les erreurs de l'état-major en 1940
      1. Analyse
        • Abandonner à l'invasion allemande une province, et surtout celle-là, c'est tout à fait hors de question, symboliquement mais aussi politiquement..
        • Le fait que la décision soit alliée et non pas française ne saurait servir de prétexte ; c'est le devoir du politique de décider ou non de sa coopération militaire.
        • Par ailleurs le commandement allié n'a pas jugé bon de lui demander son avis (mais dans sa lucidité, le chef avait tout de même repéré des indices concordants...)

      2. Passage à l'action
        • ordres donnés aux militaires d'assurer la défense de Strasbourg malgré tout, en contrevenant aux ordres alliés. Théorie de la rébellion à l'usage de de Lattre, "qui en discernait forcément le caractère aventuré et qui souffrirait de voir rompre la solidarité et la hiérarchie stratégiques où, jusqu'alors, sa place était marquée. Cependant il serait amené à reconnaître que, dans ce conflit des devoirs, celui de servir directement la France, autrement dit de m'obéir, l'emportait de beaucoup sur l'autre".
          Trois lettres ou télégrammes datés successivement des 1er, 2 et 3 janvier dramatisent le dilemme douloureux de de Lattre et amplifient la détermination de celui qui lui enjoint de transgresser quoiqu'il lui en coûte les ordres américains. [On doit évidemment mettre cet épisode en relation avec les événements de 1940, auxquels il répond implicitement : cette fois, heureusement, c'est le général de Gaulle qui est le chef des armées françaises.]

        • négociation serrée avec Eisenhower le 3 janvier à Versailles.
          [Le mémorialiste dramatise l'événement en trois tableaux pour en souligner l'importance] :
          • scène rapide d'exposition : le cadre, les intervenants, Juin, Churchill, Eisenhower et de Gaulle
          • débat entre les trois protagonistes, exceptionnellement transcrit au discours direct, dont l'enjeu est de persuader le militaire américain de la primauté à donner aux raisons politiques et symboliques ; en l'occurrence, de Gaulle reçoit le précieux soutien de Churchill. Eisenhower cède, ce qui le rend "sympathique"...
          • dénouement familier autour d'une tasse de thé, une fois que l'orage est passé.

    6. RESULTAT
      1. Strasbourg ne sera pas reprise par les Allemands. "Sans doute Hitler saurait-il prolonger de plusieurs mois encore la résistance d'un grand peuple et d'une grande armée. Mais l'arrêt du destin était, désormais, rendu et pourvu des sceaux nécessaires. C'est en Alsace que la France y avait apposé le sien" / "La satisfaction d'avoir sauvé Strasbourg".
        [Leitmotiv du destin, avec amplification mythique par le biais de l'allusion biblique aux sceaux de l'Apocalypse, et la polysémie du thème du Salut].

      2. Prise de Colmar.
        [Deux paragraphes reprenant les mêmes procédés qu'en A : point de vue stratégique factuel, mais que les énumérations de chiffres, dates et corps d'armée cherchent à amplifier jusqu'à l'épique].

      3. Les célébrations militaires et religieuses diverses à Colmar, Strasbourg et Saverne : nouvelles scènes de foules et de fraternisation. "Mais à l'élan patriotique se mêlait, ce jour-là, un autre élément d'enthousiasme : la fraternité d'armes entre Français et Américains". / "Dans la soirée, Strasbourg, à son tour, célébra en ma présence la libération de l'Alsace et chanta dans sa cathédrale le Te Deum entonné par Mgr Ruch."
        [Même effet d'exaltation et d'union sacrée qu'à la fin du A : après la prise militaire de Strasbourg, la célébration spirituelle et symbolique de sa libération : lexique religieux à connotations verticales. Un nouveau sommet vient d'être atteint].


      TRANSITION
      • [Formule conclusive mettant en abyme la structure narrative de tout le chapitre] : "Ainsi se trouvaient aplanies, pour un temps, les traverses qui avaient contrarié nos relations stratégiques avec les Américains. Mais on devait s'attendre à en rencontrer d'autres" (rétrospection/prospection et progression par crises successives).
      • Application immédiate, avec un paragraphe d'analyse explicitant le nouvel enjeu : participer de manière non négligeable à la campagne d'Allemagne.
        [Le couple des deux verbes de volonté "je voulais", "j'entendais", reprenant en chiasme ceux qui clôturaient le premier paragraphe du chapitre, en souligne la construction réitérative, ici plus prométhéenne que sisyphéenne dans la mesure où pour l'instant le protagoniste exprime une volonté d'action - en attendant de devoir recommencer à réagir aux initiatives de ses partenaires.]


  2. La bataille du Rhin (redoublement rapide de la structure narrative du I)

    1. Confirmation : les Alliés sont en mesure de passer le Rhin et de pénétrer en Allemagne mais le commandement allié ne prévoit pas que les troupes françaises en fassent de même.
      [Soulignant l'effet de réitération, reprise (avec des variantes) d'expressions déjà rencontrées plus haut dans le chapitre :

      p.160 p.173-177 p.184
      Pour imposer nos conditions, je serais, à plusieurs reprises, amené à intervenir dans le domaine stratégique [...] La France, elle, ne peut l'accepter [...]. Je n'y consens évidemment pas [...]. Il va de soi

      que l'armée française ne saurait consentir [...]
      Ma politique ne pouvant pas souscrire à cette stratégie,
        C'est ce que je décide de faire [...]
      Je vous prescris de prendre à votre compte et d'assurer la défense de Strasbourg [...]
      mes résolutions étaient prises. Il fallait que nos troupes passent, elles aussi, le Rhin.
      Pour en compenser l'abus, il me faudrait, à l'occasion, forcer la main au commandement, voire même employer nos troupes en dehors du cadre allié. Contrevenir aux instructions du commandement interallié [...]
      Elles le feraient dans le cadre interallié si cela était possible.
      Si cela ne l'était pas, elles le feraient pour notre compte.


    2. REACTION de de Gaulle et de Lattre qui négocient sans trop de mal la participation française.
      [Deux pages d'analyses stratégiques, déroulant un raisonnement structuré par les connecteurs logiques habituels : cependant, d'autant plus, en outre, par contre, en effet, au reste, du coup, mais, pourtant, mais, aussi, en même temps, dès lors, etc]


    3. RESULTAT : progression des Français outre-Rhin, malgré la résistance désespérée de l'Allemagne, entraînée par son chef dans une course à l'abîme.
      [Double amplification épique :
      1. De l'intervention alliée
        • Celle des Anglo-Américains : "opération grandiose", "colossale protection aérienne" [lexique hyperbolique]
        • Celle de la 1ere Armée Française : [dates, énumérations de corps d'armée, données numériques] => "la capitale badoise, effroyablement ravagée"
        • Celle de toutes les forces militaires qui envahissent l'Allemagne par l'ouest (alliés) autant que par l'est (Russes) [élargissement spatial à toute l'Europe en guerre].

      2. De la résistance allemande
        • Celle des armées grossies in extremis "des hommes à peine instruits, des enfants, jusqu'à des infirmes" [rythme ternaire et gradation]
        • Celle de la population qui "poursuivait avec une complète discipline un labeur qui, désormais, ne changerait plus rien au destin" [encore le leitmotiv tragique du destin]
        • Celle du Führer qui instaure une atmosphère de Crépuscule des Dieux et qui menace de plonger le monde, et pour longtemps, dans un chaos universel.
          [Texte à analyser de près. On pourra mettre en évidence :
          • le champ lexical de la folie
          • les références apocalyptiques
          • le caractère extra-lucide des prévisions d'un mémorialiste qui n'a guère de mal, en 1957-58, à anticiper sur la guerre froide, la guerre d'Indochine et les crises du Proche-Orient]


  3. Les autres terrains d'opérations (structure en diptyque : victoire/échec au milieu du chapitre)

    1. Succès français éclatants
      • sur l'Atlantique
      • et dans les Alpes

      [L'analyse peut être globalisée : mêmes procédés que précédemment, énumérations factuelles mais dont l'ampleur cherche à produire un effet d'amplification épique. On peut signaler toutefois :
      • l'expression "vainqueurs rayonnants", peut-être inspirée par un vers des "Soldats de l'an II" de Victor Hugo (Châtiments) : "Ils rayonnaient, debout, ardents, dressant la tête".
      • la phrase consacrée à la 1ere DFL : "La tâche est rude, ingrate aussi, car il est pénible aux officiers et aux soldats de cette exemplaire division de laisser à d'autres les lauriers qui jonchent le sol de l'Allemagne et de finir, dans un secteur isolé, l'épopée qu'ils ont vécue depuis les jours les plus sombres sur les champs les plus éclatants" [poncifs de l'écriture épique, en particulier hugolienne : la métaphore des lauriers de la victoire et l'antithèse ombre/lumière. On pourrait relire le poème de Hugo mentionné supra pour mesurer la différence de style...]
      • scènes de foule : à Nice ("La voix du peuple acclame cette décision") : à Tende et à La Brigue ("Les habitants exultent de joie").
      • la phrase conclusive de tout ce développement sur les Alpes : "Ainsi est-il établi que les combats dans les Alpes, commencés en 1940, poursuivis ensuite par la résistance, repris enfin par l'armée ressuscitée, finissent par notre victoire" [On peut trouver la clausule un peu plate...]

    2. Mais un sérieux revers en Indochine

      TRANSITION - "Il en est de la guerre comme de ces pièces de théâtre où, à l'approche du dénouement, tous les acteurs viennent sur la scène. Tandis que les forces françaises sont engagées à fond dans les Alpes et sur l'Atlantique, comme sur le Rhin et le Danube, le combat s'allume en Indochine".
      [Si la métaphore du théâtre se justifie pleinement dans le portrait de Staline, dans le cas présent elle paraît particulièrement artificielle, surtout à proximité de la deuxième métaphore du feu... Il en résulte une certaine incohérence...]

      1. L'attaque japonaise du 9 mars sur le Tonkin, l'Annam et la Cochinchine [phrase factuelle lapidaire. En ne mentionnant pas les tortures, viols et autres exactions perpétrés par cette armée japonaise, de Gaulle a tendance à minorer le désastre.]

      2. Analyse rétrospective : "Cette échéance était inévitable" (confirmation de la lucidité du chef)
        • L'évolution de la situation mlitaire dans le Pacifique et l'évolution politique en France ont modifié la donne : à un Vichy attentiste a succédé une France plus forte, ce qui allait inciter le Japon, aux abois, à prendre les devants avec férocité.
        • D'ailleurs "j'envisageais volontiers qu'on en vînt aux mains en Indochine [...] Si nous prenions part à la lutte - fût-elle près de son terme - le sang français versé sur le sol de l'Indochine nous serait un titre imposant" [métaphore paradoxalement remarquable d'abstraction]
        • Mise au point sur l'attelage ambigu du gouverneur-général, l'amiral Decoux, vichyste maintenu en poste par de Gaulle, et le général Mordant, responsable militaire gaulliste officieux [De Gaulle ne dit pas à quel point les deux hommes se sont montrés incompétents, aveugles et entêtés].
        • L'état des troupes sur place : peu nombreuses, diminuées, mal équipées et dispersées.

      3. Les raisons de l'échec à partir du 9 mars
        • Pas de chance ? le général Mordant est capturé immédiatement, mais la résistance des troupes françaises n'en est pas moins remarquable.
        • La responsabilité de l'échec incombe aux Etats Unis, qui ont obstinément refusé toute aide militaire.
        • En tout cas, les forces françaises ont participé au combat, ce qui symboliquement pèse lourd : "Dans le capital moral d'un peuple, rien ne se perd des peines de ses soldats".


  4. La campagne d'Allemagne (encore une duplication de la structure narrative des parties I et II)

    TRANSITION - "Quelque attention que je porte au développement des affaires sur l'Atlantique, dans les Alpes et en Indochine, c'est ce qui se passe en Allemagne qui me hante par-dessus tout. Là en effet se fixe le destin".
    [Encore une fois le leitmotiv du destin]

    1. Analyse préliminaire de la situation : les territoires allemands occupés par les forces militaires alliées vont jouer un rôle décisif dans les négociations après la victoire. La France doit donc impérativement préparer la suite en participant de manière non négligeable à cette dernière phase du conflit européen. OR, chose prévisible, le commandement militaire (et Washington) entendent réserver à la France la portion congrue.

      D'où la reprise de la même formule que plus haut (p.176) : "il va de soi qu'au moment même où les perspectives s'élargissent nous n'allons pas nous prêter à un pareil amenuisement".

    2. REACTION de de Gaulle qui ordonne à de Lattre de prendre Stuttgart, ce qui est fait [procédés similaires à ceux qui ont été analysés en I et en II].

    3. MAIS "dans la coalition, les roses de la gloire ne peuvent être sans épines" [une métaphore botanique s'impose-t-elle ici ?...] : Devers ordonne à de Lattre d'évacuer Stuttgart.

    4. Réédition du psychodrame largement développé en I, E, 2, avec les mêmes échanges de lettres et de télégrammes, les mêmes injonctions, les mêmes arguments et le même dénouement, mais effet d'accélération et de duplication comique [c'est plutôt ici que la métaphore du théâtre, si décalée plus haut, trouverait un usage pertinent] :
      • "Le général Eisenhower m'adresse, le 28 avril, une lettre résignée"
      • Même réaction joyeuse de de Gaulle : "A la bonne heure !"

    5. RESULTAT : "Les Français restent à Stuttgart" [chute lapidaire, comme un pied de nez au président Truman, qui vient de prendre ses fonctions après la mort de Roosevelt].

  5. La chute de l'Axe

    1. Fin de la campagne militaire

      • Tableau général de la déroute allemande
        • "Comme les vagues pressées déferlent sur le navire en train de sombrer, ainsi les forces alliées submergent l'Allemagne en perdition" [comparaison homérique à intention épique, image classique du vaisseau de l'Etat en plein naufrage, mais la suite n'a malheureusement avec elle que peu de rapport]
        • Succession d'instantanés sur les troupes allemandes vaincues, les populations délivrées ou en fuite (selon qu'elles voient arriver les occidentaux ou les soviétiques : interprétation influencée par le contexte de la guerre froide ?), la découverte des camps de "déportation" (une seule phrase).
        • "Dans le sang et dans les ruines, avec un profond fatalisme, le peuple allemand subit son destin" [encore une fois le leitmotiv tragique du destin]

      • La progression irrésistible de toutes les forces alliées en Europe
        [Un paragraphe factuel, de type stratégique : dates, lieux, généraux, corps d'armée]

    2. Portraits des deux dictateurs déchus, Mussolini et Hitler
      [morceau de bravoure attendu : analyse de détail à mener, successivement d'abord puis de manière comparative, en n'oubliant pas d'y intégrer le portrait en creux du véritable chef qu'est de Gaulle par rapport à ces deux-là, qui lui servent de repoussoir]

      "C'est la fin. L'Axe est vaincu. ses chefs succombent". [trois phrases lapidaires mimant la chute]

      1. Portrait de Mussolini en chef parodique
        [On pourra mettre en évidence :
        • le champ lexical du théâtre et des apparences
        • les procédés d'amplification spatiale
        • l'opposition des époques et des civilisations
        • la métaphore érotique relativement discrète
        • l'antithèse constituée par la démesure des ambitions et le caractère pitoyable de la chute

      2. Portrait d'Hitler en chef satanique
        [On pourra de même signaler plus particulièrement :
        • la disproportion quantitative des deux portraits : Hitler inspire bien plus de Gaulle que Mussolini, et pour cause...
        • la métaphore érotique (filée cette fois, et de manière fort appuyée...)
        • les allusions mythologiques : Prométhée, Moloch, le Titan (Atlas ?) et un intertexte probable : la Fin de Satan de Victor Hugo.
        • le développement, à partir de l'allusion à la création des hommes par Prométhée : "Mais [les hommes] sont des âmes autant que du limon", de l'antithèse entre la soumission et la résistance, entre les structures verticales d'écrasement et de chute, et celles de la délivrance et de l'ascension. D'où l'image, cette fois plus heureuse dans ce contexte prométhéen, de la "flamme de la résistance [qui] s'allumait parmi les Français". Par un curieux transfert, le mémorialiste passe implicitement dans sa description d'un Titan Prométhée ambitieux, mais noir et destructeur, manifestement assimilé dans l'imaginaire gaullien au Satan de Hugo (Hitler) à un autre Prométhée capable d'animer les hommes par un feu salvateur (de Gaulle lui-même), Le résumé panoramique, en un paragraphe, du déroulement de toute la deuxième Guerre mondiale, lui donne l'occasion d'insister particulièrement sur son propre rôle historique en 1940. De sorte que si le destin d'Hitler est finalement scellé et le jette dans l'abîme, c'est parce qu'il a trouvé sur sa route un adversaire dont l'entreprise fut elle aussi "surhumaine", mais non pas "inhumaine" : comme dans l'épopée antique ou médiévale, le vainqueur du monstre et des forces du Mal est lui-même un héros du Bien surdimensionné.

    3. Dernières étapes de la capitulation allemande

      • le problème de la succession d'Hitler et les premières mesures humanitaires en faveur des déportés [s'opposant évidemment à l'évocation précédente du Führer entraînant tout son peuple avec lui dans l'abîme]

      • tentative vaine d'Himmler pour rallier de Gaulle.
        [L'intérêt de ce paragraphe tient surtout à l'intertexte biblique : petit Satan lui-même, mais vraiment pas de la taille de son maître, Himmler est un "tentateur aux abois" qui échoue à persuader de Gaulle-le Christ de devenir "le plus grand homme de tous les temps" (cf Mt, 4, 1-11 et Lc, 4, 1-13)]

      • un dernier incident protocolaire vite réglé par de Lattre : les Français participent à la signature de l'armistice, ce qui stupéfie le maréchal Keitel, furieux de ce "tour de force qui aboutit, pour la France et pour son armée, à un pareil redressement".
        [Grâce à la seule intervention de de Gaulle et à sa remarquable ténacité, la boucle est bouclée et le désastre enfin réparé : il ne faut pas oublier que Wilhelm Keitel se trouvait dans le wagon de Rethondes, dans lequel avait été signé l'armistice du 22 juin 1940.]

 

3. Péroraison (un déchaînement de rhétorique)

  1. La célébration de l'armistice le 8 mai

    • Annonces radio par les dirigeants politiques à Paris, Londres et Washington
    • Cérémonie et scène de foule à l'Etoile
      [Métaphore rebattue des éléments déchaînés] : "tempête d'acclamations", "torrent" [de la foule] (air/eau)

  2. Mais une réaction populaire relativement mesurée

    • Cette nouvelle était attendue, son intensité n'a rien à voir avec celle de la Libération en 1944.

    • Les esprits sont marqués par l'épreuve
      • des "défaillances désastreuses" (armistice de 1940 et régime de Vichy)
        [Métaphore antithétique elle aussi rebattue] : "gloire tirée du plus profond de l'abîme" (bas > haut)
      • de la conscience des "crimes qui font honte au genre humain"

    • Doute général sur la capacité de cette guerre à enfanter la paix
        [Métaphore de "l'éternelle espérance [qui va] prendre à nouveau son essor" (bas > haut + variation sur le mythe d'Epiméthée cette fois ? Dans le mythe grec, l'espérance est le seul mal qui ne s'envole pas et reste au contraire au fond de la boîte de Pandore...)
        Personnification antithétique de "la guerre qui enfante tout" (citation explicite mais non référencée : fragments d'Héraclite) mais qui n'a peut-être pas "enfanté la paix"]


  3. Bilan personnel, clôturant ce chapitre central de manière à accompagner le basculement

    1. Mission héroïque accomplie (rétrospection = clôture des quatre premiers chapitres)
      [Allégorie épique de la France] : "détresse de la patrie / au terme d'un combat où elle risquait tout" (= reprise en clôture de la phrase de l'introduction : "la France mettait en jeu tout son destin"). La voici vivante, respectée, recouvrant ses terres et son rang" [déictique triomphant + métaphores d'inspiration peut-être médiévale : risque de mort/vie - déréliction/pouvoir retrouvé]

    2. Mais pressentiment prophétique de lendemains qui déchantent (prospection > trois chapitres suivants)
      [Métaphore antithétique] : "De quelle lumière se dore le jour qui va finir" / "mais comme ils sont obscurs les lendemains de la France" (lumière/ombre + aujourd'hui/demain)
      [Métaphore de la décadence + allitérations méprisantes en sifflantes et chuintantes] : "tout s'abaisse et se relâche" (haut > bas)
      [Métaphore antithétique reprenant de manière allusive la formule de l'Appel du 18 juin] : la "flamme ranimée au souffle de la tempête" / "comment la maintenir ardente quand le vent sera tombé ?" (bas > haut > bas / feu et air)

© Agnès Vinas