L'importance de Strasbourg et de l'Alsace-Lorraine

Dans le chapitre IV, « la Victoire », au milieu exact du tome III, de Gaulle insiste particulièrement sur la reprise de Strasbourg par le général Leclerc le 23 novembre 1944, puis sur sa propre intervention décisive auprès d'Eisenhower pour éviter que, sitôt libérée, la région ne soit abandonnée par les troupes alliées pour des raisons de stratégie militaire. L'importance de l'épisode se mesure au nombre de pages qui lui sont consacrées et au traitement particulièrement dramatique que lui réserve le mémorialiste. De Gaulle montre à cette occasion que la politique est aussi affaire de symboles. Pourquoi donc cette ville, Strasbourg, et plus généralement l'Alsace-Lorraine, ont-elles à ses yeux une telle valeur ?


Strasbourg et la Révolution française

Isidore Pils - Rouget de Lisle chantant la Marseillaise (1849)

L'importance symbolique de Strasbourg dans l'histoire contemporaine commence peut-être le 25 avril 1792. Cinq jours plus tôt, le 20 avril, l'Assemblée législative à Paris a déclaré la guerre à l'empereur d'Autriche François II. Le maire de Strasbourg demande alors au cours d'un dîner à l'un des officiers de la garnison, le capitaine Rouget de Lisle, d'écrire un Chant de guerre pour l'Armée du Rhin ; le lendemain, c'est chose faite. Ce chant, propagé de Strasbourg à Montpellier puis à Marseille, est adopté par les volontaires marseillais qui montent à Paris en juillet 1792. C'est le début d'une extraordinaire carrière : accompagnant les soldats de l'an II, la Marseillaise sera déclarée hymne national par la Convention le 24 novembre 1793.

 

La perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine en 1870-1871

Georges Pilotell - La Caricature politique - 11 mars 1871

Le Second Empire s'écroule devant les Prussiens à Sedan le 2 septembre 1870, mais l'avènement de la République le 4 ne met pas un terme aux malheurs de la France envahie. Le 18 janvier 1871, à Versailles, a lieu la proclamation du IIe Reich. Le 26 février est signé un traité de paix préliminaire, que confirme le traité de Francfort le 10 mai. Dix-huit jours plus tard, la Commune de Paris sera écrasée.

Par le traité de Francfort, la France rend à l'Allemagne des territoires annexés par Louis XIV en 1681, et qui constitueront la province allemande d'Alsace-Lorraine. Ce terme est un peu trop globalisant dans la mesure où le territoire de Belfort et une grande partie de la Lorraine ne sont pas concernés par cette annexion : on devrait lui préférer celui d'Alsace-Moselle.

Mais cette amputation suscite dans l'opinion publique française un violent sentiment de revanche, qu'expriment chansons, poèmes, caricatures, peintures, textes de toutes sortes, et en particulier histoires destinées aux enfants.

Voici quelques documents seulement dans une masse documentaire d'une ampleur tout à fait considérable :

Honoré Daumier - La France-Prométhée et l'aigle-vautour
Le Charivari - 13 février 1871

Jean-Joseph Weerts - France ! ou L'Alsace et la Lorraine désespérées (1906)



 

La récupération de l'Alsace-Lorraine en 1918-1919

Après l'armistice de 1918, le traité de Versailles du 28 juin 1919 est signé dans la même galerie des Glaces de Versailles qui avait vu la proclamation de l'Empire allemand, le 18 janvier 1871. L'article 27 rend à la France l'Alsace-Moselle qui avait alors été perdue.





Un certain nombre de cérémonies commémoratives se multiplient alors. Voici le récit de l'une des plus intéressantes, qui s'est déroulée le 27 juin 1920 sur la colline lorraine de Vaudémont célébrée par Maurice Barrès comme la "colline inspirée". Ce texte écrit par son fils Philippe Barrès constitue le début de la péroraison d'un Charles de Gaulle publié en 1941.

« En 1873, au lendemain du traité de Francfort par où la Prusse nous avait enlevé l'Alsace et une partie de la Lorraine, les annexés s'étaient joints aux Lorrains restés Français dans une cérémonie inoubliable. Ils avaient déposé, au lieu du pélerinage traditionnel de la Lorraine, sur l'autel de la basilique de Sion, sur la "Colline inspirée" près de Nancy, une Croix de Lorraine, brisée en deux, avec cette inscription, ce cri d'espérance : Ce n'est pas pour toujours.

Quarante-sept ans plus tard, le 27 juin 1920, une autre cérémonie réunissait les Lorrains sur la Colline de leur pélerinage. Gens de la Meuse, de la Meurthe, de la Moselle, des Vosges, soldats des fameux 20e et 21e corps, évêques de Strasbourg, de Nancy, de Saint-Dié, de Metz, de Luxembourg, députés de Lorraine et d'Alsace, ils étaient venus plus de trente mille pour exprimer leur joie de vainqueurs libérés, à l'endroit où leurs pères avaient affirmé leur fidélité dans la défaite.

Maurice Barrès, que ses compatriotes avaient chargé de ce soin, rapprocha les deux morceaux de la Croix de Lorraine, brisée en 1873 pour symboliser la séparation des deux Lorraines. Il les rattacha cette fois, pour marquer leur réunion, avec une palme d'or, et l'inscription : Ce n'est pas pour toujours fut remplacée par une autre : C'est pour toujours


 

L'annexion au IIIe Reich

Même si l'armistice du 22 juin 1940 ne règle pas officiellement le sort de l'Alsace-Lorraine, occupée militairement dès le début de l'invasion allemande, la région est de fait annexée au IIIe Reich. Pendant la guerre, la résistance y prend une forme particulière, différente de la résistance intérieure française et de la résistance allemande au nazisme, s'exprimant de manière importante par le refus de la germanisation.



 

Le choix de la croix de Lorraine comme symbole de la France Libre

Avant même de devenir le symbole mondialement connu de la France Libre, la croix de Lorraine a été portée par le colonel de Gaulle, puisqu'elle figure sur l'insigne du 507e Régiment de Chars de Combats, dont la ville de garnison est Metz de 1920 à 1939. De Gaulle est chef de corps de ce régiment de 1937 à 1939 : le général Buis a laissé un témoignage savoureux d'une de ses interventions à l'issue de grandes manoeuvres.

Mais c'est le 1er juillet 1940 que de Gaulle, entré en Résistance, adopte, sur proposition du vice-amiral Muselier, d'origine lorraine, cet emblème qui devient rapidement le signe de ralliement de tous ceux qui luttent contre la croix gammée, qu'ils soient des Français libres ou appartiennent à la Résistance intérieure. Après la guerre, la croix de Lorraine est devenue l'emblème privilégié du gaullisme.



Le serment de Koufra (2 mars 1941)

La prise de l'oasis de Koufra, tenue par les Italiens de Mussolini dans le grand sud Libyen, est le premier fait d'armes des Forces Françaises Libres et de celui qui est alors encore le colonel Leclerc.

La portée symbolique de l'événement dépasse de bien loin son importance militaire réelle, d'autant que Leclerc, au terme de son allocution à ses troupes victorieuses, leur fait prêter le fameux Serment de Koufra.

Le choix de Strasbourg est particulièrement significatif : la libération de cette ville signera la récupération complète et définitive de tout le territoire français, et sera perçue comme une revanche éclatante sur le destin.

 

La brigade Alsace-Lorraine (1944-1945)

En 1944, des maquisards alsaciens et lorrains réfugiés en zone sud mais éparpillés en bataillons divers s'organisent pour créer une Brigade indépendante. C'est le lieutenant-colonel Pierre-Elie Jacquot, originaire des Vosges, qui devrait en principe en prendre le commandement, mais c'est finalement au colonel Berger (alias André Malraux) qu'échoit cette mission. Après bien des réticences dues à son engagement auprès des Républicains dans la guerre d'Espagne, les alsaciens -lorrains finissent par l'accepter.

De septembre 1944 à février 1945, la Brigade des trois cents pouilleux, dite aussi Brigade très chrétienne du colonel Berger participe efficacement à la campagne d'Alsace et entre le 6 décembre 1944 à Strasbourg. Elle est dissoute le 15 mars 1945 et incorporée dans les troupes régulières françaises qui vont participer à la bataille d'Allemagne.



La libération de l'Alsace en 1944-1945

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Et pour compléter