Acte IV - Scène 7

Dans le couloir de l’entreprise. On voit une longue suite de boxes de travail.

LORENZA, entrant – Ah, c’est bientôt la fin de journée ; je n’ai pas de temps à perdre, et pourtant, j’ai bien l’impression d’en perdre. (Elle frappe sur la cloison d’un box). Hey ! Alamanno ! Salut !

ALAMANNO, les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur – Qu’est-ce que tu veux ? J’aimerais finir ça et rentrer chez moi.

LORENZA – Tu ne trouves pas qu’Alexander se comporte de manière exécrable ? Par exemple ce matin, avec le petit nouveau. Il faudrait lui rendre la monnaie de sa pièce…

ALAMANNO – Pff, et qui va le faire ?

LORENZA, s’inclinant – Lorenza de Médicis.

ALAMANNO – Ah oui ?! A coups de rouge à lèvres et d’agrafeuse ? Tais-toi donc, au lieu de dire des conneries, et viens prendre un pot avec nous, tout à l’heure.

LORENZA – Je n’ai pas le temps ; prépare-toi à agir demain.

ALAMANNO – Sérieusement ? Toi, tu vas tuer le boss ? Allez, viens plutôt par là et grimpe sur mes genoux.

LORENZA, elle soupire et s’en va. Seule – peut être ne devrais-je pas leur dire que je compte tuer Alexander… Oh, et puis à quoi bon, ce sont tous des imbéciles.

Elle arrive dans un autre box. Hello Pazzi, quoi de neuf ?

PAZZI, sans la regarder – Hum ? Apporte-moi un café, tu seras gentille.

LORENZA – Je ne peux pas, je dois aller tuer Alexander.

PAZZI, sur un ton ironique – Oui, oui, c’est ça. Alors ? J’attends mon café.

LORENZA, elle fait claquer sa langue en levant les yeux et repart. Seule – Ah, pauvre humanité, jadis si belle et maintenant si dégradée ! Les seuls liens qui te maintiennent aujourd’hui sont les cordons de la bourse.


Acte IV, Scène 9

Dans les toilettes pour dames de l’entreprise.

FEMME 1, en se remettant du rouge à lèvres – Tu as vu ça ? Lorenza qui se vante d’aller tuer le boss… N’importe quoi !

FEMME 2, se recoiffant – Ouais, trop pitoyable. On est dans une banque, elle n’a pas sa place ici.

FEMME 1 – Quelle femme vulgaire !

Entre Lorenza, les deux femmes s’arrêtent de parler et sortent, étouffant des gloussements en passant près de Lorenza.

LORENZA, elle s’appuie sur le lavabo et regarde son reflet. – Je lui dirai que je vais faire des heures sup’ ; on voit ça de partout : la jeune et belle secrétaire, qui reste assister son patron, harassé par une colossale montagne de travail et qui a besoin d’aide pour se détendre. D’autres y sont passées avant moi, et ont connu bien pire. Et aujourd’hui, je dois vivre comme ça, avec ce que je suis devenue, ce qu’a fait de moi cette société de corruption, où seul l’argent nous guide. Tu pourrais aussi rentrer chez toi et essayer d’oublier – Non, il y a bien une raison qui me pousse à agir. Dix minutes. Dix petites minutes à attendre avant de pouvoir l’atteindre. L’argent manipule tout le monde, même ceux qui croient le manœuvrer ; ils deviennent tous des pantins, tous ivres de pouvoir. Si l’argent fait le bonheur, il aura détruit le mien. Tu pourrais te taire, et faire comme tous les autres – mais comment pourrais-je trouver mon parti entre ceux qui n’osent agir, par cupidité, par peur ou simplement par sottise, ou ceux qui ne savent que voir et ne font que critiquer ? Les déboires de la société ont suffisamment perduré. Si personne ne se décide à agir, moi je le ferai. Ton motif ? L’argent, en toute logique, mais au fond… Et puis, je n’ai pas besoin de prétexter quoi que ce soit ; j’entre, je fais ce que je dois faire et c’est tout. De brillantes et coûteuses études, tout ça pour finir à la solde de l’inégalité, il est grand temps qu’une voix se lève et surpasse les grognements sourds et incessants de cette civilisation en déclin. Chaque âme possède son destin, et le mien, s’il a été tracé par une quelconque entité supérieure, doit forcément être celui de ma volonté. J’espère qu’il n’aura pas quelques protections, hormis celles qui empêchent la seule chose véritablement capable de vous anéantir. Et s’il te voit venir ? N’importe quoi, as-tu cru un seul instant que sa réticence me ferait fuir ou abandonner ma mission ? Même s’il riposte, ce sera lui ou moi. Je pense le trouver à son bureau de toute manière. Ou alors, devant son buffet à se servir de la liqueur. Donc, assis ou debout. Elle respire un grand coup, s’éloigne du miroir et sort son arme. Elle fait semblant de viser son reflet. Le cœur ou la tête ? Tu n’atteindras peut être pas ce que tu souhaites. Bon sang ! Elle se frotte nerveusement la tête. Là. Bon. Je marche, j’entre, je vise et je tire. J’aimerais aussi qu’il me regarde. Tu lui avoueras ta raison, sans doute. Ou tu ne feras que l’achever. Bien, parfait. C’est bientôt l’heure. Je dois me donner du courage. Elle sort une mignonnette d’alcool. Non, si j’agis, ce ne sera pas sous l’emprise de l’ébriété. Je reste lucide. « Avez-vous bu, madame ? – Non, monsieur l’agent. – En ce cas, vous avez bien fait. Maintenant, dansons ! – Oh non, je ne voudrais pas vous déranger…» Pauvre âme, quel rôle fut le tien ? Que va-t-il te dire ? Un râle âpre lui dégoulinera de la bouche, sinon du sang ou il appellera la sécurité. Elle s’accoude au lavabo et pousse un profond soupir. Pauvre bureau, pauvre banque, tu n’es que le lieu et l’instrument du châtiment. J’aimais bien tes parquets, sous mes talons, je cliquetais pour me rendre à mon poste où je n’effectuais hélas, que des basses besognes. Alamanno, lui, en revanche, détestait ce sol autant que les gens basanés. Ses chaussures qui plafonnent à 300€ le faisaient glisser et j’ai longtemps prié pour le voir choir. Cependant, le seul endroit où il s’affalait était son vieux fauteuil de bureau. Mais l’éclat de ton parquet, le lundi matin, sous les rayons dardés par le soleil timide, alors que la dame de ménage était passée avec son produit à la cire… Elle entend une porte qu’on claque. Quoi déjà ? Ok, ne t’en fais pas, je gère. « Et bonsoir Boss – Que me vaut ta charmante visite ? – Une excellente nouvelle. » Et n’oublie pas : sur sa cravate, la clé USB contenant les sommes faramineuses qui corrompent la société. Auras-tu le courage de dépouiller un cadavre ? L’argent vole bien le corps flétrissant de l’humanité. L’objectif ? Une crise économique. Un crack boursier. Tout le nécessaire dans un pauvre système électronique de cinq malheureux centimètres. La population n’y survivra pas et les plus brillants, l’élite, se rendra compte. Oui, seuls, pauvres et désemparés, ils se diront alors que leurs mains sont sales et poisseuses, à l’image de leur cœur, et de leur âme. S’il faut quelqu’un à blâmer, c’est l’être humain lui-même. J’en suis, naturellement. Fermer les yeux sur cette sublime perversion serait me mentir et trahir ma race. Au dehors, le feu d’artifice commence lentement. Là, ça y est. J’y vais. Souhaite-moi bonne chance… Ou tais-toi à jamais.

Elle sort.



© Anaïs S. et Lucille O. - TL1 du lycée Amiral de Grasse (à Grasse - Alpes-Maritimes).