Dialogue entre le Lorenzo de l'Apologie et celui de Musset




Le duc - A propos, pourquoi as-tu fait demander des chevaux de poste à l'évêque de Marzi ?
Lorenzo - Pour aller voir mon frère qui est très malade, à ce qu'il m'écrit
Le duc - Va donc chercher ta tante.
Lorenzo - Dans un instant.
(Il sort).



Lorenzo ! Lorenzo ! Réponds-moi, ceci est ton nom dépourvu d'humiliations !

Ta présence ne m'est d'aucune utilité et seule la folie peut m'aider. Va-t’en. Je dois tuer Alexandre.

Je ne suis pas ici pour t'arrêter, je souhaite ce meurtre autant que toi, et tu le sais. Je suis venu soutirer le venin qui t'enivre et qui causera ta perte !

Ne vois tu pas que je suis à demi-mort ?! Ne vois tu pas ce visage brûlé et croulant, ses yeux fous, ce regard vide ? Je suis presque cadavre, un esprit guidé par la folie, et ma vie n'est plus rien. Seul le meurtre d'Alexandre me soignera comme de l'alcool que l'on lance sur une plaie ouverte ! Oui, j'ai souffert ! J'ai ri de tous et je continue à rire à leurs éclats, leurs sourires méchants, qu'ils sachent ce que je fais, qu'il sache, ce tyran qui attend Catherine, quel acte je m'apprête à accomplir !

Seul l'esprit de devoir devrait t'envahir. Tu le fais pour libérer Florence de ce tyran.

La liberté de Florence ! Voici une idée vertueuse, si pure qu'elle m'écœure. Oui, je libère Florence, qui d'autre sinon ?! Quel Satan sera assez vil pour soutenir que cette pensée est mienne ?! Ma liberté est déjà tachée du sang d'Alexandre, il me transperce et me brûle sous ma peau ! Et je me sens fiévreux de ce meurtre, Oui, je dois être fou pour porter cette épée coupante. (Il s'entaille le doigt). Ce sang qui s'est mêlé au sien. Ce sera court, à peine sanglant, pour préserver notre sang !

Tu ne peux pas commettre un meurtre aussi silencieux. Il faudrait qu'il soit déjà mort.

Ce n'est qu'une question de temps, il ne pourra pas arrêter mon élan, ma fureur, mon désir, mon plaisir ! Je ne ferai que faire pénétrer ma lame dans son ventre, il ne se débattra pas, le temps de la surprise. Son dernier sommeil, d'ailleurs il me semble qu'il ne dort pas, il attend, le vil.

Tu es tremblant, tu sembles mal.

Oui, je suis mal, je suis mal...

N'agis pas de ta fièvre. Agis en homme vertueux, sensible à son devoir. Tue Alexandre, non pas parce qu'il est ton tyran mais parce qu'il est un tyran.

Je n'ai plus rien à espérer, ma réputation est vile à défaut d'être rebelle. Je suis fou en voulant être provocateur. Je me souviens encore des statues décapitées de l'arc de Constantin, des espiègleries d'enfants ! J'ai vu la monstruosité d'une débauche à laquelle je ne pouvais me refuser. Ce poison enivrant mêlé d'alcool et de sueur ! Je l'ai aimé, comme j'ai pu désirer être là ce soir. Lorenzaccio, je suis, figure du diable, je voudrais rire mais je ne le peux pas.

Personne ne rit d'un meurtre.

J'ai porté un masque qui s'est fondu en moi. Je me revois, enfant... Comment ai-je pu être aussi pur, aussi naïf ? J'ai grandi et je m'apprête à tuer, sur un lit poissé de débauche, un être qui a fait mon malheur. A qui j'ai tout donné. Tu voudrais me sauver ? J'en ai assez d'attendre, mon ardeur se consume, je vais tuer Alexandre !

Tu le fais donc pour toi. Aucune morale ne se discute dans tes pensées, seul un serpent se faufile sous ta peau et t'injecte son venin ! Je ne peux rien faire, Va, fais ton devoir.


Le duc se couche. Lorenzo rentre l'épée à la main.

Lorenzo - Dormez-vous seigneur ?
Il le frappe
Le duc : C'est toi Renzo ?
Lorenzo - Seigneur, n'en doutez pas.

Il le frappe de nouveau
Entre le Lorenzo de l'Apologie.


Est ce fait ? Pourquoi le respectes-tu autant. Est ce pour rire de lui que tu le nommes encore seigneur ?

Regarde, il m'a mordu au doigt. Je garderai jusqu'à la mort cette bague sanglante, inestimable diamant.

Cela restera le souvenir de ce meurtre. Pourquoi t'a-t-il appelé Renzo, pourquoi autant de familiarité à son dernier souffle ?

Je songe à ce que je peux accepter, laisse-moi, je dois inspirer l'air de Florence à la fenêtre. Mon désir est assouvi, mes muscles sont encore douloureux de l'effort infect, mais je me sens libre. Mon désir était mon devoir, cette bague mon désir. Pourrais-je encore remettre un voile blanc sur mes yeux ? Encore cacher l'horreur de cette réalité, renaître et tout recommencer... Lorenzo, Lorenzo, j'ai tout gagné, je voudrais que l'air me traverse, qu'il refroidisse mes pensées brûlantes ! Mais je respire ! Je respire ! Et je me sens défaillir ! J'entends Scoronconcolo qui monte. Disparais, Lorenzo impur, je suis le seul ! J'ai connu le vice et je vois la beauté du vertueux.

Je ne pourrais te sauver, ton devoir est fait, le reste n'a plus aucune importance. (Il sort).



© Sonia C. - TL1 du lycée Amiral de Grasse (à Grasse - Alpes-Maritimes).