Le jeune René Char n'a pas attendu de fréquenter personnellement les surréalistes parisiens pour s'intéresser au cas du marquis de Sade. Il bénéficie de la bibliothèque de sa marraine, Louise Roze, dans laquelle il a découvert des lettres inédites de Saint-Just et de Sade, et une lettre du maire de Charenton sur la mort du marquis : il la publie en août 1929 dans le numéro 2 de son éphémère revue Méridiens, fondée avec André Cayatte.

C'est pourtant avec son arrivée à Paris en novembre de la même année que commence pour lui véritablement la grande aventure surréaliste. Et sa première contribution importante en faveur de Sade paraît en octobre 1930 dans Le surréalisme au service de la Révolution, n° 2, p.6.

HOMMAGE À D.A.F. DE SADE

À Paul Eluard.

I

Quelle existence particulièrement bien comprise arrivera à percevoir à l’heure d’un couchant exceptionnel les vibrations de l’insolite monument dressé sur une grève de pierres hantées à la limite des eaux mortes entre deux rivages à jamais arides ?

Quand le silence rassurant se sent chez lui le mystère allume de monstrueux feux de paille : feu de paille celui qui de mémoire d’ombre récite la vérité déchirante, feu de paille celui qui sur les ailes de la folie précipite, à hauteur d’aigle, la morale démasquée, feu de paille aussi celui dont les étranges propos découvrent aux paralytiques les impressions saisissantes.

L’incorruptible séducteur s’éloigne comme un orage.

II

Ces bouleversements derrière les paupières nous conduisent infailliblement à une mare dure et glissante où dort sous une nuée de mouches vertes l’immobilité au diapason. Pour pouvoir s’en approcher il faut avoir cru plus que de raison. On dit alors à haute voix ce à quoi on ne pense pas. J’ai voulu dire : le cœur du lance- pierre trouve le chemin du poète. » Le temps m’a prouvé par la suite que mon existence à ce moment-là pouvait tout au plus déserter deux nuages et une épave encore à découvrir. Une obscurité croissante semblable à celle qui règne sur les visions tombe dans les yeux de Pilar. À l’horizon, des mains téméraires ont soulevé pour le plaisir les lourdes pierres horizontales.

III

Sade, l’amour enfin sauvé de la boue du ciel, l’hypocrisie passée par les armes et par les yeux, cet héritage suffira aux hommes contre la famine, leurs belles mains d’étrangleurs sorties des poches.

René CHAR.

Par la suite, René Char recevra ses amis Eluard, Jean et Valentine Hugo sur ses terres provençales : en février 1931, ils visitent les châteaux liés à la vie de Sade, Saumane et Lacoste, ce dont témoigne cette photographie probablement prise par Valentine Hugo.


Et pour compléter

Paul Veyne a publié un article intitulé « Char et Sade » dans La Nouvelle Revue Française n° 374, mars 1984, pages 85-103