Le samedi 29 mai 1965 est inauguré à Saint-Denis, ville natale de Paul Eluard, un lycée qui portera son nom. Plusieurs allocutions sont successivement prononcées en présence de Cécile Eluard, la fille de Paul et de Gala, en particulier un très beau texte de Louis Aragon sur Paul Eluard.

 

 

Photo de droite, de gauche à droite - M. Steib, proviseur du lycée, M. Jacob, inspecteur général de l'Instruction publique,
Auguste Gillot, maire de Saint-Denis et Louis Aragon - Musée d'art et d'histoire - Saint-Denis © Douzenel

 

 

Allocution de M. Jacob, Inspecteur Général de l'Instruction Publique

Mesdames, Messieurs,

Monsieur le Recteur Jean Roche avait la très ferme intention et le très grand désir de présider lui-même la cérémonie d'aujourd'hui. Les rigoureux impératifs d'un emploi du temps dont il n'est malheureusement pas le maître en ont décidé pour lui autrement. Et mes premiers mots seront pour vous dire tout le regret qu'il éprouve de ne pas pouvoir être présent ici autrement que par la pensée.

Parmi les très nombreuses personnalités dont la présence rehausse cette cérémonie — elles sont si nombreuses qu'elles m'excuseront de ne pas les nommer toutes — il en est deux que M. le Recteur aurait tenu tout particulièrement à saluer et à remercier.

La première est Louis Aragon. Il ne pouvait pas y avoir de plus grand honneur pour le lycée de Saint-Denis que le privilège qui lui est accordé aujourd'hui d'accueillir celui dont ont a pu dire, ces jours-ci, à propos de son dernier livre, « qu'il est et qu'il restera l'écrivain, le poète, l'artiste le plus éblouissant de notre temps ». Lorsque l'idée nous est venue de demander à M. Louis Aragon de venir ici aujourd'hui, nous ne nous sommes pas caché que notre projet pouvait paraître bien ambitieux. Déranger une personnalité comme la sienne pour une simple manifestation universitaire, n'était-ce pas, en effet, avoir beaucoup d'ambition. Mais il se trouvait qu'à cette manifestation était intimement associée la mémoire d'un autre grand poète : Paul Eluard. C'est ce qui nous a encouragés à présenter à M. Aragon notre demande. Qu'il ait bien voulu y répondre avec tant de spontanéité et de simplicité, nous lui en avons une reconnaissance que nous ne saurions trop lui exprimer.

L'autre personnalité que M. le Recteur aurait particulièrement tenu à saluer aujourd'hui est celle de M. le Maire de Saint-Denis. Au témoignage que M. le Recteur Roche vous aurait rendu, permettez-moi, M. le Maire, d'ajouter le mien. Les fonctions d'adjoint au Recteur de Paris que je viens de quitter après les avoir remplies pendant 13 ans m'ont amené à prendre part à la création d'une quantité d'établissements nouveaux implantés, pour la plupart dans la banlieue parisienne. C'est dire que j'ai été amené à prejndre contact avec un assez grand nombre de Municipalités. Il m'est très rarement arrivé de rencontrer un accueil aussi amical et un appui aussi efficace que ceux que nous avons trouvés, mes collaborateurs et moi-même, auprès de la Municipalité de Saint-Denis.

Mes premiers contacts remontent à l'année 1957, date à laquelle fut créé l'établissement qui devait devenir le lycée Paul-Eluard. Il fut ouvert sous ta forme d'une annexe rattachée au lycée Jacques-Decour, que dirigeait alors Monsieur le Proviseur Dumas et c'est M. Dumas qui présida, avec le dévouement le plus attentif, à cette œuvre. Au cours de sa première année d'existence, l'annexe de J.-Decour ne comptait que 120 élèves, logés dans quelques baraques dont il reste encore des vestiges. Les débuts furent difficiles, d'autant plus que les effectifs se mirent rapidement à croître : 300 élèves en 58, 600 en 59, que nous ne sûmes bientôt plus comment loger et comment nourrir. C'est alors que nous pûmes apprécier les services que la Municipalité de Saint-Denis nous prodigua avec une ingéniosité admirable et un immense intérêt pour la tâche que nous poursuivions en commun. En 1959, s'ouvrent les chantiers des bâtiments définitifs. C'est vers cette époque que le lycée passe sous la direction diligente de Madame Gardère. Elle est soutenue dans sa tâche par une Association de Parents d'élèves dont dès le début, la femme de Monsieur le Maire de Saint-Denis, Mme Gillot, a été l'infatigable animatrice. En 1960, une 2e tranche de travaux débute.

En 1961, la demi-pension est ouverte. Mais c'est alors que se produit une longue interruption des travaux due à des difficultés administratives de toute espèce. Pour les vaincre, il faudra les efforts tenaces et conjugués de la Municipalité d'une part, et d'autre part du très distingué proviseur Monsieur Steib, qui en 1962, au moment où fut prononcée l'autonomie de l'établissement, a succédé à Mme Gardère et à qui je suis très heureux d'adresser aujourd'hui l'expression de toute mon estime et de mon amitié. Où en sommes-nous aujourd'hui ? La 3e tranche va être livrée en septembre prochain. Mais tous les problèmes ne sont pas résolus évidemment. Prévu initialement pour 1 500 élèves le lycée Paul-Eluard en compte 2 000. Deux annexes lui sont rattachées à Epinay et à Saint-Ouen. Sa population scolaire est certainement destinée à s'accroître encore et il est vraisemblable que dans un avenir plus ou moins lointain la création de plusieurs classes préparant aux grandes écoles doit être envisagée.

De nouveaux bâtiments seront à construire, de nouveaux crédits devront être dégagés. C'est dire que de nouveaux efforts vont s'imposer. Il reste qu'un grand pas décisif est franchi, le lycée désormais porte un nom, un très grand nom. C'est ce nom que Louis Aragon va célébrer tout à l'heure. Je m'en tiens pour ma part à ces quelques mots et je cède la parole à Monsieur le Conseiller Général Gillot, Maire de Saint- Denis.

 

Allocution d'Auguste GILLOT, maire de Saint-Denis

Monsieur le Recteur de l'Académie,
Monsieur le Proviseur,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

C'est avec une bien grande satisfaction que la Municipalité ouvrière de Saint-Denis participe à cette inauguration si longtemps souhaitée.

Une grande étape est franchie, je dirai : elle fut longue, elle fut douloureuse.

En vérité, notre Lycée a déjà une histoire datant d'un peu plus de 30 ans. En effet, c'est dans l'élection municipale du 5 mai 1935 que, pour la première fois, nous avons posé la nécessité de construire un établissement secondaire à Saint-Denis.

Rien ne fut possible avant la dernière guerre de 1939. L'équipe municipale de l'époque, qui se préparait à trahir la France, en collaborant avec l'occupant hitlérien, ne se souciait pas de ce problème.

C'est le Conseil Municipal provisoire, issu de l'insurrection victorieuse de la Résistance, en août 1944, qui s'en chargea.

Notre première délibération est du 17 décembre 1944. Georges Cogniot s'en servit le 28 mars 1945, à la tribune de l'assemblée consultative et le premier bulletin municipal de la Ville de Saint-Denis, adressé à la population en avril 1945, traite de la question.

Pour la construction du Lycée, le Conseil municipal du 16 mai 1947 prit la décision de réserver les terrains au plan d'aménagement, de la Ville. C'est ainsi que nous décidâmes de donner 19111 m2 au Ministère de l'Education Nationale.

Mais l'accord de principe, pour la construction, ne fut porté à notre connaissance que le 15 février 1954 et la lettre reçue précisait déjà : « Malheureusement, je ne puis envisager son financement dans le cadre de l'actuel Plan d'Equipement Scolaire. »

C'est seulement en 1957 que débuta l'implantation de classes préfabriquées et le Lycée de Saint-Denis commença à fonctionner comme annexe du Lycée Jacques-Decour à Paris.

A partir de cette date, ce fut une bataille incessante pour obtenir les crédits permettant de construire la première tranche et la deuxième.

La consultation de notre volumineux dossier témoigne que nous avons maintenu un harcèlement permanent sans lequel nous n'aurions rien obtenu.

Que de délibérations renouvelées du Conseil municipal ! Que de questions écrites au Préfet et au Ministre ! Que de lettres, de pétitions, de réunions, de délégations, d'articles de presse ! Il fallut aller jusqu'aux manifestations de rues pour se faire entendre.

Dans ces actions multiples, l'Association des Parents d'Elèves du Lycée joua un rôle de premier plan, bien soutenu par le personnel enseignant. En conséquence, c'est un devoir pour la Municipalité que de remercier bien sincèrement tous les artisans de ce premier succès.

Ensemble, nous avons bien travaillé pour doter Saint-Denis, ville de 100 000 habitants, d'un Etablissement du second degré absolument indispensable pour la jeunsse, qui a soif d'apprendre afin d'être capable de faire face avec honneur aux développements continus des sciences et des techniques de notre temps dont doivent bénéficier les travailleurs de France.

Renseignement à tirer de cette période de lutte, pour le Lycée de Saint-Denis, c'est qu'il ne faut pas relâcher les efforts.

La vieille formule : « Tout vient à point à qui sait attendre » ne correspond pas du tout à la situation ; il faut agir en permanence dans l'union la plus large.

La troisième tranche de travaux est en cours et il y a espoir qu'elle soit terminée en octobre prochain.

Cependant, pour que le Lycée soit définitivement construit, il faut également commencer la quatrième tranche sans désemparer, c'est-à-dire sans laisser, une fois de plus, fermer le chantier car il en coûte beaucoup de temps et d'argent pour obtenir la réouverture.

Notre Lycée doit posséder ses propres installations sportives pour ses 2.000 lycéens et lycéennes ; c'est absolument indispensable. Que se passerait-il si nous ne mettions pas à leur diposition le Palais Municipal des Sports ?

De plus, le Lycée doit être desservi par de meilleurs moyens de transports. Des bourses doivent venir aider les jeunes dont les parents sont en difficulté et la fonction enseignante doit être revalorisée, ce qui pose tout le problème d'une véritable réforme démocratique de l'enseignement, dont les éléments directeurs sont contenus dans le plan Langevin-Wallon.

Telles sont, Mesdames, Messieurs, les quelques idées que la Municipalité de Saint-Denis a pensé nécessaire de préciser à l'occasion de cette inauguration.

Puisque le Lycée portera désormais le nom glorieux du grand poète national, né à Saint-Denis, Paul ELUARD, la Municipalité a décidé de faire don de son buste, œuvre du sculpteur Françoise Salmon, ici présente, que je félicite de sa réussite.

Nous avions acheté ce buste pour le Musée Municipal, mais il est bien, il est juste que Paul ELUARD soit à l'entrée du Lycée de Saint-Denis.

Il rappellera à tous que « Les mots participent à l'élaboration de la vérité », et que « la poésie est contagieuse ».

Dans cet hommage supplémentaire au poète, nous continuons à faire rayonner sa gloire d'un magnifique éclat.

Grand merci, cher Louis ARAGON, citoyen d'honneur de notre Ville, d'être venu apporter votre concours à cet hommage.

Meilleurs vœux de succès au Lycée de Saint-Denis.

VIVE LE LYCEE PAUL-ELUARD !

 

Hommage de Louis ARAGON à Paul ELUARD


Louis Aragon lors de l'inauguration du lycée Paul-Eluard
Musée d'art et d'histoire - Saint-Denis © Douzenel

Ma chère Cécile,
Monsieur l'Inspecteur Général,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

 

 

Il ne m'échappe point que c'est un grand honneur qui m'échoit d'avoir à parler ici pour le baptême du Lycée Paul-Eluard de Saint-Denis. Je ne puis que remercier ceux-là qui eurent la pensée de faire appel à moi. Mais il me faut bien convenir qu'on ne pouvait plus mal choisir. Il n'y a pas la plus petite chance que je dise ce qu'il faut, et que sans doute on attend de moi. Je devrais apparemment ici parler de Paul Eluard, comme il serait possible à quelqu'un d'autre, de façon tout exemplaire, en dresser une statue verbale, donner à rêver, sinon à voir, à ces jeunes gens qu'on y élèvera, en leur présentant le personnage idéal qui va se trouver présider à leurs études. Etc. Enfin ajouter à cette « morale en action » du XIXe siècle un chapitre contemporain, l'image d'un ami que j'ai eu, tel qu'en quelque autre enfin, l'Education Nationale va le changer. Je comprends l'utilité de ce merveilleux Epinal. Je ne saurais pourtant y contribuer.

Paul Eluard est désormais pour tous un grand poète au sens qu'on prête à ces mots, et rien d'autre. Il a quitté son visage humain pour une figure immortelle. On apprend, on commente ses vers, on se met même à les comprendre. Et cela est fort beau pour les autres. Mais n'ai-je pas été témoin de sa vie pendant trente-trois années ou presque ? Et je n'ai pas le goût de mentir, même pour le bon motif. D'ailleurs, il me faut bien vous avouer que ma morale à moi n'est peut-être pas tout à fait académique : je ne crois pas qu'il faille donner en exemple à la jeunesse d'édifiants mannequins, j'ai persuasion qu'il est de notre devoir de lui apprendre d'abord, avant toute chose à détester l'hypocrisie. Je ne puis donc vous parler de Paul que comme d'un être de chair et de sang, car sans le sang et sans la chair, où donc jamais se serait logée l'âme, la poésie ? Et la sienne, il ne faut point, à la lire, des yeux pudiquement fermés. Qu'y comprendrait-on s'il était devenu un autre ? Ce chant singulier, qui va du cri, à lui arraché par le spectacle des Gertrud Hoffmann girls au Moulin-Rouge, jusqu'à l'admirable poème qui s'appelle Corps mémorable,

J'ai été comme un enfant
Et comme un homme
J'ai conjugé passionnément
Le verbe être et ma jeunesse
Avec le désir d'être homme.

Ce chant singulier, de quoi voulait-il d'abord enchanter nos mémoires ? Evidemment, cela peut se lire du bout des cils. Et dieu sait qu'il ne manque pas de gens qui lisent comme ils voudraient que la poésie fût écrite, et ne retiennent des mots que l'écho de leur murmure appris. Ceux-là, quand les choses sont à leur gré trop directement dites, trouvent Eluard obscur, et s'en tirent ainsi. Mais nous qui l'avons connu, et difficilement pourrions séparer sa vie et sa musique... excusez-moi, je ne puis le relire, celui qui fut la voix profonde d'un peuple à l'heure du malheur français, tout à fait comme ceux-là pour lesquels il demeure un poète abstrait. Et même pour que prennent tout leur sens ces vers de Poésie et Vérité 1942 :

Que voulez-vous la porte était gardée
Que voulez-vous nous étions enfermés
Que voulez-vous la rue était barrée
Que voulez-vous la ville était matée
Que voulez-vous elle était affamée
Que voulez-vous nous étions désarmés
Que voulez-vous la nuit était tombée
Que voulez-vous nous nous sommes aimés

il me faut bien qu'ils aient été prononcés par des lèvres qui ont beaucoup conjugué le verbe aimer. Pour comprendre, à mon sens, même un poème qui semble se contenter de sa signification d'évidence, comme l'incomparable Liberté, lequel a passé de la lueur interdite de la patrie à la calme lumière des anthologies, pour lui donner sa résonnance originelle, ne faut-il pas se souvenir de l'homme qui l'a écrit, de l'homme qu'il a été, de sa vie réelle, que n'ayant pas ici le temps de vous dire par le menu, j'ai l'envie de résumer d'un trait essentiel, d'une phrase par quoi tout commence, et de quoi tout peut, rêvant, se déduire : Il a beaucoup aimé les femmes... excusez-m'en, si c'est cela d'abord en lui que je trouve vraiment exemplaire.

Paul s'était marié très jeune. Je n'ai jamais pu lire sans émotion, même à la millième fois, ses premiers vers, ceux du Devoir et l'Inquiétude, ou les Poèmes pour la paix. Ils sont témoins de cet homme commençant, sa bonté, sa pureté des sentiments, ce doux orgueil à dire ma femme ou mon enfant... Il fallait une bonne dose de distraction, quelque temps après, aux surréalistes, pour s'arranger avec cette poésie-là, ou pour l'oublier, car à tout prendre je n'ai jamais pu m'expliquer comment ils s'arrangeaient avec elle. Il est vrai que cela n'a guère demandé que quatre ou cinq ans pour que commence à se défaire ce bonheur initial, et la morale surréaliste trouvait à ce malheur le bonheur de la poésie. Il n'en restait pas moins qu'heureux ou malheureux l'amour avait eu le visage de cette femme tant de fois, si longtemps nommée, celle dont il avait pour la première, fois, dit ma femme. Et j'ai trop souvenir, quels qu'aient pu être les épisodes suivants de cet amour à la fin déchiré, d'une phrase que Paul a dite plusieurs fois devant moi au cours des années : « Une femme qu'un ami à moi a aimée m'est pour toujours sacrée », j'en ai trop souvenir pour oublier que c'est d'elle,

Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.

Que c'est d'elle que tout est parti, que c'est de Gala que Paul a appris à vivre, à être lui-même, que c'est d'elle que sont venus Mourir de ne pas mourir et Capitale de la Douleur, et bénie soit-elle pour cela ! Il n'y a pas d'autre école du poète que de longuement souffrir.

J'ai raconté quelque part, comme cela peut se raconter, comment en 1926 Paul est parti, sans croire jamais revenir. Je disais : Le dernier soir, la dernière nuit, nous les avions passés ensemble. Ce qu'il m'a dit alors, au juste, je ne l'ai jamais répété, je ne le répéterai jamais. Et pas plus aujourd'hui. Je l'emporterai avec moi dans ma nuit. Alors, Paul disparu, l'idéalisation consistait à faire de lui une manière de Rimbaud dans quelque Ethiopie. C'était dans de petites revues dont l'initiative donnait à mes amis d'alors les crampes de prendre l'affaire en main, de faire de lui leur héros, d'expliquer avec leurs idées cet inexplicable départ. Il m'avait fallu pour tenir la promesse que m'avait arrachée Paul à l'heure de l'aurore, après cette dernière nuit, me livrer contre eux à un singulier marchandage, risquant de rompre entre eux et moi, plus que les ponts, cette amitié qui me semblait toute ma vie. Entre cet Eluard de bronze qu'ils eussent gagné, et moi qu'ils eussent perdu, ils hésitèrent assez pour que Paul revint sans qu'on en eût fait ce personnage romantique, dont il avait l'horreur On suit très peu de ses voyages, assez pourtant pour que ce temps-là m'apparaisse, non pas rupture, mais continuité de l'homme qui avait écrit :

Je me tournai le brouillard avec moi
Tourna

et vers 1929 à jamais lia, dans le titre d'un livre, ces deux mots L'AMOUR LA POESIE.

J'ai chez moi plusieurs portraits d'Eluard. Ils m'ont toujours paru incomplets parce qu'il y est seul. Je ne puis détacher l'image que j'ai de Paul d'une sorte de nuage qui le suit, variant : et j'y lis comme dans le ciel ou les dessins de hasard d'un mur ces visages qui l'accompagnent dans le souvenir, ces doux et beaux visages qui n'ont pas tous gardé un nom pour moi, les passantes innombrables comme le petit nombre des amours. On parle toujours de ces choses avec une légèreté qui m'est incompréhensible. Elles sont cependant, les étapes inégales d'une quête qui fut à la fois la vie et la poésie de cet homme aux yeux purs. Et tant pis pour ceux que cela choque, et qui trouvent sans doute impossible, impudique le pluriel des Amours, dont personne ne s'étonne plus s'il s'agit de Ronsard ! Je ne parle pas ici de ce qui n'est, et j'entends assez amèrement le sens de cet adjectif, que la vie privée. Je parle de ce qui, de ces femmes que je lui ai connues, a passé par osmose dans les vers d'Eluard. Dans ce temps où nous étions proches, comme dans ces poèmes des années où brisure entre nous deux s'était faite, parce que l'avait emporté en lui l'attachement que j'avais jeté, moi, naguère, dans la balance quand il s'agissait d'empêcher qu'on lui donnât un visage qu'il refusait d'avoir. Et puis ce fut son tour de choisir....

Pour en arriver-là, il faut en revenir un peu en arrière, sur ce chemin d'aimer qui fut le sien.

Cela devait être en 1930. Une femme avait surgi dans sa vie, qui ne ressemblait à aucune autre antérieure. J'avais eu, pour la première fois à la voir, le sentiment étrange que cette fois c'était pour toujours. Et c'était pour toujours. Nusch devait amener dans la vie de Paul non seulement ce grand calme de l'amour partagé, mais aussi ce climat silencieux qui allait infléchir le destin de l'homme où tout d'elle l'appelait. Que Nusch était d'origine une femme du peuple, et qu'à l'horizon de toute chose il y avait pour elle des réalités inoubliables, a joué sur l'évolution de Paul Eluard de façon décisive. La crise qui m'avait éloigné de nos amis, et de Paul lui-même, en 1931, Eluard devait la connaître de 1935 à 1938, sous des formes différentes, et l'influence des événements, du phénomème hitlérien, de la guerre d'Espagne, des approches de 1939. A ceux dont, à son tour, il se séparait, deux ans après La Victoire de Guernica, il disait en 1938 dans Cours Naturel :

Ô mes frères contraires gardant dans vos prunelles
La nuit infuse et son horreur
Où vous ai-je laissés
Avec vos lourdes mains dans l'huile paresseuse
De vos actes anciens
Avec si peu d'espoir que la mort a raison
Ô mes frères perdus
Moi je vais vers la vie j'ai l'apparence d'homme
Pour prouver que le monde est fait à ma mesure
Et je ne suis pas seul.

Et quand vinrent les heures tragiques il n'était point seul. J'avais appris à Nice, d'où commençait pour moi ce travail qui nous prit entièrement, Eisa et moi, l'évolution d'Eluard. Je savais que Nusch était, la première, entrée dans ce parti qui était le mien. Il ne tarda pas à l'y suivre. C'est au printemps de 1942 que Paul adhère au Parti Communiste Français, c'est-à-dire à l'heure même où sont fusillés Jacques Decour et Georges Politzer, il ne faut pas l'oublier, parce que cela n'est pas hasard, mais courage, que cela revêt un sens. J'ai lu, dans un texte presque officiel, il y a quelques mois, avec un certain étonnement que l'on disait qu'Eluard était entré au Parti à la Libération. Je dois dire que de telles « inexactitudes » renforcent la position d'un personnage d'Elsa Triolet, dans son dernier roman, Le Grand Jamais, ce Régis Lalande, historien qui déclarait qu'il est impossible d'écrire l'histoire. Qu'Eluard soit un communiste de la saison sanglante, et non de l'année où cela fut le plus facile d'en devenir un, j'estime qu'il est de mon devoir de le rappeler. C'est à notre premier voyage de Paris après le débarquement d'Afrique du Nord, qu'à notre grande et douce surprise, nous vîmes au portillon du quai, gare de Lyon, Nusch et Paul qui nous attendaient. Nous ne nous étions jamais plus revus depuis ma rupture avec les surréalistes. Nusch nous apportait une grande tarte qu'elle avait faite pour nous : et je ne sais pas si vous pouvez comprendre aujourd'hui ce que cela signifiait en ce temps sans farine et sans sucre. Nous avons été la manger ensemble dans ce rez-de- chaussée du boulevard Morland qu'on nous avait préparé pour nous y cacher. Toute la vie était, là entre nous, comme ce gâteau découpé, tant de choses à se dire, nous quatre, que nous avons oublié le couvre-feu et que Nusch et Paul sont restés coucher chez nous, dans cet étrange chez-nous inconnu. C'était le temps de l'Honneur des Poètes qui commençait...

Tout ce qui suivit est trop public que j'aie ici besoin d'en reparler. Nous avons joué notre partie dans la guerre de la patrie. Cette fois du Boulevard Morland, l'aviation britannique, la R.A.F. venait de jeter sur Paris les poèmes de Paul Eluard et de moi ; pour moi, je n'étaits pas trouvable, mais Paul habitait chez lui, à ce bout de la rue de la Chapelle qui ne s'appelait pas encore rue Marx-Dormoy. N'empêche, et cette anecdote me suffira pour parler ici de l'homme... (j'ai l'apparence d'homme — Pour prouver que le monde est fait à ma mesure), que dans ce temps-là qui était celui de la grande persécution des Juifs, Paul avait inventé de dire à qui voulait l'entendre qu'il était juif, et à ceux qui s'en étonnaient appuyait cette révélation du fait qu'Eluard n'était qu'un pseudonyme, son nom de famille étant Grindel, ce qui bien sûr est un vieux nom paysan de France, mais à quoi il donnait un air germanique à le prononcer Grinedel, on avait même eu toutes les peines du monde à le dissuader de porter l'étoile jaune. Il disait couramment que l'on devrait l'envoyer, lui comme tous les Juifs, à Madagascar, etc. Et je me souviens qu'en 1942 à Nice, Jean Paulhan, nous racontant la chose, y croyait dur comme fer puisque Paul le lui avait dit lui-même. Il avait fallu l'autorité du Parti pour arrêter cela, cette bravade et cette générosité un peu folle, car Paul voulait toujours être du côté des plus malheureux. Il n'y avait pas besoin de l'étoile jaune, à vrai dire, pour prouver que le monde fût à la mesure d'Eluard. Mais comme le dit ce poème de plus tard, que je citais tantôt :

Comme un dialogue d'amoureux
Le cœur n'a qu'une seule bouche

Dans ces années d'après la guerre, il semble qu'un souffle nouveau s'élève de cet homme. C'est alors qu'il écrira notamment Poésie ininterrompue, du temps de Nusch, Une leçon de morale et le Phénix du temps de Dominique... pour m'en tenir à ces « grands ensembles » comme on dit aujourd'hui des maisons de couleur qui s'élèvent de la misère humaine. Il semble qu'on ait oublié, à lire ce qui s'écrit de la poésie française du XXe siècle, que c'est Paul Eluard le premier qui, à contre-courant, tenta de faire renaître le poème de longue haleine. Cela demandait, à cette heure de la cinquantaine, une réinvention du langage, cette réinvention qu'annonçait dès 1938 un poème, la même année, publié seul, puis repris dans Cours Naturel, et qui s'intitulait : Quelques-uns des mots qui jusqu'ici m'étaient mystérieusement interdits. Entre temps, il a passé huit années d'histoire. Les modes sont oubliées. La liberté, qu'il était né pour connaître, s'incarne dans ce parler nouveau, illimité de Poésie ininterrompue... Ici se fait pour la première fois la rupture avec la convention du poème à ta mesure de l'œil : le poème se met à la démesure l'homme.

Mais on ne peut éclairer ceci, s'en tenant aux textes écrits, et les séparant de la tragédie de ces années-là. J'ai quelque hésitation d'en parler. Comme si c'était indiscret de ma part, quand Paul cependant... ou Didier, puisqu'il avait choisi ce nom, comme s'il avait déjà tué Paul Eluard... Pardonnez-moi. Je m'étais arrêté d'écrire ceci, à ce point même des mots, l'autre soir. Je suis resté toute une nuit les yeux ouverts sur ce passé. Il faut bien que je le raconte. Et tant pis pour la phrase commencée !

Paul était malade. Toute sa vie il a été guetté par les rechutes d'un mal de sa jeunesse, les poumons, et comme il avait été dans quelque Davos, au temps où il connut Gala, les médecins l'avaient une fois de plus envoyé en Suisse, chercher l'air de la neige. Nusch était demeurée à Paris. Qu'y avait-il, deux ou trois jours ? Qu'elle était venue nous voir, chez nous, rue de la Sourdière : les nouvelles étaient meilleures, mais visiblement elle s'impatientait de cette séparation. Et puis, ce soir-là, le 28 novembre 1946, dans une salle près de la place Voltaire, j'étais sur l'estrade, parce que j'avais été élu « Grand électeur », pour les élections au Sénat, et j'assistais notre candidat, Jacques Duclos : pendant qu'il parlait, un de nos camarades du coin où habitaient Paul et Nusch, le dentiste Hastoing, me fit parvenir un mol, me demandant à me parler, quand il me dit, en ces termes, Mme Eluard est morte, je ne pensai pas un instant à Nusch, je crus qu'il s'agissait de Gala, dont Paul était depuis vingt ans séparé. Il y a des choses difficiles à comprendre. Quand je balbutiai la nouvelle à Jacques Duclos, celui-ci me dit seulement : Vas-y... et me fit donner l'amas énorme des fleurs qu'on lui avait portées ce soir-là.

J'arrivai donc dans l'appartement de Mme Grindel mère, rue Ordener où Nusch dormait seule, dans le silence, et la grande lumière, et je jetai sur son lit ces fleurs qui étaient après tout bien pour elle. L'effrayant était qu'elle dormait, qu'elle avait presque meilleure mine que lors de sa visite chez nous, qu'on s'étonnait de ne pas voir la respiration soulever son sein... d'ailleurs, à la regarder, dans ma stupeur, il me sembla... il me sembla... L'effroyable voyage de retour : Paul n'arriva que le surlendemain, et dans son égarement il assurait que Nusch n'était pas morte, il demandait qu'on ne l'inhumât point, il jurait qu'il l'avait vue respirer, qu'elle dormait. Ah, devant cela, pour se défendre, que sont les armes de la douleur !

Nous avons tremblé pour Paul. Que pouvait-on faire ? Tout ce qu'il disait trahissait une résolution dont on se refusait pourtant à prendre conscience. Il y avait quelque chose de brisé en lui. Il disait, au moins, qu'il n'écrirait plus. Il avait commencé une manière de poème, en Suisse, juste avant la chose. Cette suite qu'il y donna, avait sans le dire le caractère d'un testament. Il le signait d'un nom inventé Didier Desroches, parce qu'il avait tué Paul Eluard. Je le laissai dire. Ce qu'il m'avait montré de Didier était d'une beauté confondante. Ce petit livre qui devait paraître comme l'œuvre d'un inconnu, c'est peu en dire qu'à mes yeux il surpasse tout ce qu'Eluard a signé de son nom. Je le pensais alors, et je le pense aujourd'hui. Mais ce n'est pas que Paul qui s'est trouvé porté au-delà de lui-même : je pense véritablement que c'est la langue française. Ici elle aura été l'instrument inégalable d'une souffrance jamais ainsi exprimée. J'ai beau chercher dans ce trésor les paroles qu'ont accumulé les siècles, je n'y connais rien qui brûle ainsi. Quand je les lis, ces vers, même muet, pour moi, de cette voix intérieure, j'en ai la gorge blessée. Ne dites pas que j'exagère : qu'avez-vous à y opposer ? Malherbe... Ta douleur, du Périer... Vous voulez rire. Ce n'est pas le moment. A Villequier, peut-être... Peut-être.. Mais faut-il à tout prix comparer les choses incomparables ? Le temps déborde de Didier Desroches devait paraître en juin 1947.

Peu à peu, la vie reprenait. Difficilement. Mal. Paul ne pouvait pas supporter la la solitude. Il ne la supporta pas. Et quand il commença à y avoir autour de lui d'autres femmes, ceux qui s'en étonnaient ne comprirent sans doute pas le courage que cela représentait. De leur part. Fallait-il, pouvaient-elles abandonner cet homme aux fantômes qui l'entouraient ? L'aimèrent-elles ? Elles le veillaient, voilà. Ο consolatrices, l'une surtout, merci de ce que vous avez fait pour Paul ! A distance, j'ai de vous un très profond respect.

Enfin, nous le croyions sauvé. Un jour, à l'improviste, il y avait des mois que Nusch n'était plus, Paul survint rue de la Sourdière et. avec une effrayante tranquillité nous dit, à Elsa et à moi, je le vois assis devant notre longue table de bois blanc, les doigts croisés.... que c'était fini, qu'il ne pouvait décidément pas survivre, il allait, se tuer, il me priait d'expliquer sa résolution au Parti. Qu'avons-nous dit ? J'ai encore dans l'oreille la voix d'Elsa. Mais les mots ! Qu'auriez-vous dit à notre place ? Tout était si abominablement dérisoire. Tout d'un coup, je me sentis m'emplir d'une résolution violente. Je demandai à Eisa, c'est étrange pour moi maintenant, de nous laisser seuls. Ce qui n'avait pas grand sens : nous n'avions que deux pièces, et de la seconde on entendait chaque mot de ce qui se disait dans l'autre, surtout que j'étais bien incapable de mesurer ma voix. Ah, je n'étais plus que violence ! Je ne reculerais devant rien. J'ai pris mon ami dans les bras de ma colère. Je lui ai dit, alors, voilà, voilà, tu nous abandonnes... Non, pas comme vous croyez ! Il fallait inventer un autre chantage. Le pire pour moi. Le plus difficile. On sait assez qu'à l'heure où j'avais perdu tous mes amis, quinze ou seize ans plus tôt, Eluard avait signé un texte atroce contre moi. Jamais nous n'en avions parlé jusqu'à ce jour-là. Pour quoi faire ? Nous nous étions retrouvés, c'était l'essentiel. Mais alors, mais à cette minute, je le lui jetai au visage, je criais. Tu t'en vas parce que ça t'arrange, et tu me laisses avec ces mots jamais démentis, qui vont maintenant me suivre, avec d'autant plus de force que le fait de se tuer confère aux paroles des suicidés je ne sais quelle autorité grotesque... Tu t'en vas. Tu vas servir contre moi... Mon Dieu ! je m'écoutais et ne m'écoutais pas. Paul était blême : Il ne disait rien. Moi, je ne m'arrêtais plus.. Je lui en ai dit, je lui en ai dit. Je lui secouais l'âme. A la fin, il m'a pris la main, et il m'a dit : « Je te promets... je vais essayer... » Voilà, je vous l'ai raconté.

J'ai souvenir confus des deux années qui suivirent, où Paul se jeta dans une espèce de tourbillon. La passion de servir est dans ce qu'il écrivit comme dans ce qu'il fît. Qu'importe le détail... Je n'en retiendrai que ce voyage en Grèce, avec Forges, où il fut par des voies secrètes en 1949 visiter l'armée démocratique hellène au Mont-Grammos, par ce que de cela il est resté un livre de poèmes Grèce, ma rose de raison, commencé là- bas, fini au mois de juin, pour m'en tenir à la date terminale de l'ensemble, et qui devait être repris dans Une leçon de morale. Cette même année, Paul est envoyé au Mexique par le Mouvement de la Paix. Ce n'était qu'une étape de cette course pour ne pas se laisser le temps dangereux de respirer. Mais il advint là-bas l'imprévisible : c'est qu'il rencontra Dominique.

A la première fois que nous la vîmes, il fut clair que Paul était sauvé. Je n'ai jamais oublié ce sentiment que j'en eus. Et comme j'ai alors pensé, une fois de plus, à sa phrase, à lui : Une femme qu'un ami à moi a aimée m'est pour toujours sacrée... A Dominique, que je n'ai plus vue depuis des années, revient cette reconnaissance des quatre ans qu'elle donna à Eluard, des quatre ans de vie qui furent encore sa destinée, et que pourrions-nous, qu'avons-nous le droit d'ajouter d'elle à ce livre, à ce symbole du Phénix écrit pour elle, ce témoignage que par elle Paul renaquit de ses cendres ?

Pendant les années de Dominique, outre le Phénix, Paul a publié Pouvoir tout dire où les pages qui me concernent, auxquelles je m'excuse de me référer ici, après tout j'ai le droit d'en avoir fierté, constituent indiscutablement une réponse à ce que je lui avais dit ce jour-là qu'il avait voulu mourir. Les poèmes de ce temps-là qui furent réunis après sa mort sous le titre de Poésie ininterrompue II ne sauraient se séparer de ce qui les a précédés, dont ils sont à la fois le commentaire et le dépassement, En particulier des Poèmes politiques, parus en 1948, dont j'avais écrit la préface. Le dernier poème de Paul, par quoi se termine Poésie ininterrompue II, Le Château des Pauvres, a ceci d'admirable qu'il semble une synthèse des grands courants de toute sa vie, depuis les premiers jours, et joint à des vers qui éclairent, comme s'il avait tenu à le faire avant de disparaître, des moments distants de sa vie, à la fois la poésie pour tous et la poésie pour la femme aimée, pour Dominique. Je dis la poésie pour tous... Aux derniers jours, alors qu'il était tenu à l'immobilité dans son lit, après un infarctus, Paul m'avait fait venir pour me parler d'un projet. Il avait fait lui-même un choix de ses poèmes, comme un testament poétique, un choix qui va d'un bout à l'autre de son œuvre, et qui parut après lui, par les soins de Dominique, et les miens. C'est ce livre qui s'appelle Poèmes pour tous, car il ne semble pas que le choix même que Paul y a fait ait eu d'autre guide que le souci constant de réunir des poèmes qui fussent lisibles de tous. Il y avait essentiellement insisté dans cette dernière conversation que nous eûmes dans cette chambre de leur nouvelle maison, au bord du Bois de Vincennes. Et l'on entendait par la fenêtre les cris des enfants de l'Ecole, voisine à l'heure de récréation. Je lui demandai s'il n'en était pas gêné. « Moi ? J'adore cela ! » Tous, dans son esprit, c'étaient aussi ces enfants tapageurs. L'avenir. Nous étions à la mi-novembre de 1952, ou à peu près.

Il est mort subitement, je ne sais, deux ou trois jours plus tard. Je ne parlerai pas de sa mort. Je ne parlerai plus jamais de sa mort. Je parle encore une fois de sa vie. J'étais venu ici pour parler de sa vie. De notre vie. De ce que je sais encore de notre vie.


 

Louis Aragon et le maire de Saint-Denis, Auguste Gillot - Musée d'art et d'histoire - Saint-Denis © Douzenel


© Musée d'art et d'histoire - Saint-Denis © Douzenel pour les images.
Un merci chaleureux à Lucile Chastre, Elsa Tilly et Lionel Labosse.


Et pour prolonger

Ce discours a été récemment édité en Cd audio.

Aragon parle de Paul Éluard. CD co-produit par PSD (121, rue Gabriel Péri. 93200 Saint-Denis) et Maison Elsa Triolet/Aragon (Moulin de Villeneuve. 78730 Saint-Arnoult-en-Yvelines). Prix : 15 € (plus frais de port). (Sur commande à la Maison Elsa Triolet/Aragon).