Structure rhétorique

I. Discours préliminaire, fonctionnant comme un grand exorde (premier quart du chapitre)

  1. Petit exorde servant de transition avec le chapitre précédent
    "La route de la grandeur est libre. Mais la France, pour s'y engager, dans quel état a-t-elle été mise !" [métaphore, antithèse, allégorie, exclamation]

  2. Narratio (= description factuelle chiffrée + évocations historiques successives)

    1. Tableau de la France après la guerre : "un bilan de ruines"
    • Destructions matérielles
    • Spoliations financières, qui s'ajoutent au passif de la première Guerre mondiale
    • Pertes humaines qui aggravent encore le déficit démographique
    • Dépression morale, causée en particulier par l'instabilité politique depuis 1789

    2. L'action de de Gaulle
    1. Celle qui vient d'être menée
      • Libération (titre du chapitre 1)
      • Ordre (titre du chapitre 3)
      • Rang (titre du chapitre 2)

    2. Celle qu'il a l'intention de mener
      • Maîtrise des sources d'énergie
        • charbon
        • pétrole
        • énergie atomique
      • Équipement et modernisation
      • Politique familiale et démographique

    3. Récapitulation en chiasme
      • Paix sociale à établir
      • Indépendance nationale à maintenir

    [Toute cette description procède, en cadences binaires et ternaires, par accumulation
    • des problèmes à traiter
    • des solutions à leur apporter
    L'effet à produire est celui d'une charge énorme mais qui ne décourage ni l'intellectuel qui connaît l'Histoire et sait en analyser les mécanismes, ni le véritable homme d'action qui trouve les remèdes appropriés].

  3. Discussion sous forme de fausse délibération : quel régime politique pour atteindre ce but ?

    [Cette partie construite en chiasme réparti symétriquement de part et d'autre du projet gaullien associe confirmation [de la thèse de l'auteur] et réfutation [de celle de ses adversaires]. Elle n'est donc délibérative qu'en apparence.]

    1. Faut-il prolonger l'état d'urgence en dictature (au sens romain du terme, dans un contexte exceptionnel) ?
      [NB : Ce développement trouve sa justification en 1958 dans les accusations formulées par les adversaires de de Gaulle pendant et après son retour aux affaires. C'est à eux qu'il répond ici.]
      • L'état d'urgence ayant disparu, il ne faut pas tromper le peuple par un abus de pouvoir.
      • D'autant que seule à présent l'armée pourrait donner une assise à un tel régime autoritaire.
      • Les circonstances politiques favorables à un régime bonapartiste n'existent plus : au peuple à présent de décider de son destin.

    2. Mais un régime de partis est lui aussi totalement inenvisageable
      • Le parti communiste français ne serait qu'une émanation de Moscou.
      • Le "caractère fractionnel des partis" leur interdit de prétendre à l'autorité nationale.
      • Et leur phraséologie masque mal leur décadence : ils sont seulement préoccupés de faire carrière.

    3. Les institutions politiques idéales pour de Gaulle
      (= programme du discours de Bayeux de 1946 à comparer avec la Constitution de la Ve République, et à situer dans le contexte de rédaction du tome III, en 1958 et été 1959)

    4. Opposition prévisible des partis
      • Pour l'instant, tous se retiennent encore, pour des raisons différentes
      • Mais ils espèrent un régime parlementaire qui réduirait de Gaulle à inaugurer les chrysanthèmes
        • parce qu'ils n'ont pas tiré les leçons de l'Histoire
        • parce qu'ils ne servent que des intérêts particuliers
        • et parce qu'un exécutif dirigé par de Gaulle serait incompatible avec le régime dont ils rêvent

    5. Mais ils suivront le courant si le peuple accorde son soutien au projet de de Gaulle.
      Reste à savoir s'il le fera lors de la prochaine consultation électorale (prolepse).
      Transition : En attendant, il s'agit d'agir.

II. Narration de l'action de de Gaulle en attendant les élections d'octobre 1945

[Cette narration, scandée périodiquement par des dates, associe une évocation chronologique des faits à une présentation fortement argumentative, confirmant chaque fois la validité des positions ou l'efficacité des actions de de Gaulle et réfutant ou condamnant celles de ses adversaires. Elle procède par prolepses et analepses successives, soulignant les étapes en crescendo de la montée des oppositions.]

  1. "Un renouveau d'unité politique" malgré quelques accrocs ? (de mai à août avec prolepse en octobre 45)

    1. Une unité apparente courant mai
    Voir en particulier les témoignages de soutien dithyrambiques, au discours direct, de Blum et d'Herriot
    [La troisième étape de cette narration rendra ce paragraphe rétrospectivement ironique].

    2. Mais en réalité, "les soucis partisans et électoraux dominent la vie publique"

    1. Les élections municipales mettent les divisions politiques en évidence
    2. La gestion du retour des prisonniers et des déportés manifeste une surenchère partisane scandaleuse et oblige de Gaulle à taper du poing sur la table [blâme virulent dans une petite scène nerveuse, au présent de narration et au discours direct]
    3. La politique financière (échange des billets et création de l'impôt de solidarité), même si elle donne lieu à un vote quasi-unanime, a suscité malgré tout des critiques divergentes de la droite et de la gauche. Bientôt, toute l'assemblée basculera dans l'opposition.

  2. Les trois grands procès de l'Epuration (août 1945 avec prolepse en octobre)

    1. Des analyses divergentes sur leurs enjeux

    • Pour de Gaulle, tous les crimes de Vichy découlent de la forfaiture initiale : l'armistice a soumis l'Etat français à l'Allemagne. Le problème, politique et militaire, est celui de l'abandon de l'indépendance nationale.
    • Pour une grande partie de l'opinion au contraire, le problème est idéologique, et justifie les règlements de comptes.

    2. Les trois grands procès

    1. La vieillesse de Pétain lui vaut, aux yeux de de Gaulle, des circonstances atténuantes : il a été la victime d'un entourage intriguant. [Mais son procès est expédié en un petit paragraphe, et ne donne lieu à aucun des fameux portraits du mémorialiste. La cause est entendue depuis le tome I (pp. 78-79 dans Pocket)]
    2. Les manoeuvres procédurières de Laval le discréditent en revanche totalement. Seule sa mort courageuse le rachète in extremis.
    3. Quant à Darnand, il semble l'exemple même du dévoiement des grands serviteurs de la patrie par un régime de forfaiture.

    3. Commentaire de de Gaulle sur cet épisode de l'Epuration

    La France n'a pas à être solidaire du régime dévoyé de Vichy et du renoncement national.
    Mais l'esprit de la Résistance va-t-il perdurer jusqu'aux élections ?

    [On voit que de Gaulle, dans cette relecture du Vichysme et de la Résistance, tente de colmater les brèches en maintenant à tout prix la fiction d'une unité nationale... Mais la fin volontariste du paragraphe le montre quelque peu dubitatif sur les résultats de l'opération. On retrouve ici la distinction bien connue entre la France et les Français...]

  3. La discussion sur la future constitution (de mai à octobre 1945)

    1. Les efforts de de Gaulle pour mobiliser la nation en faveur de son projet

    • Les célébrations patriotiques de mai 1945 à Paris
    • Le discours radiophonique du 24 mai
    • Les tournées triomphales en province

    [Reprise du motif des bains de foule, abondamment développé dans le premier chapitre, avec les mêmes métaphores usées : "ce courant enchanté", "une tempête d'acclamations", "le tonnerre de leurs vivats"... Mais le développement est aussi étonnamment factuel : kyrielles de toponymes, de chiffres, et extraits de discours dont on trouvera en fin de volume (p.479) l'intégralité de celui de Béthune.]

    2. Mais à présent des manifestations d'hostilité ouverte des partis

    1. A propos de l'éventualité d'un référendum sur la Constitution

      • trois solutions possibles proposées par de Gaulle
        • Poursuivre avec un parlement qui décidera de modifier ou pas la constitution de la IIIe République
        • Faire élire d'emblée une nouvelle assemblée constituante
        • Demander son avis au peuple par référendum (triple but)
          • décider démocratiquement du sort de la IIIe République
          • décider de l'importance de la future assemblée par rapport à l'exécutif
          • décider d'un projet qui va engager le peuple pour longtemps
      • [Structure argumentative totalement cadenassée par des introductions partielles : "Trois solutions, disais-je, sont concevables", "Mon projet de référendum visait un triple but", des cadences implacablement ternaires, des anaphores : "ou bien" (x 3) et des connecteurs logiques : "d'autre part", "d'abord, ensuite, enfin". Il s'agit ici de convaincre de manière irréfutable, en éliminant de la démonstration tout débat d'idée : "Mais, cette assemblée, fallait-il qu'elle fût omnipotente, qu'elle décidât, à elle seule et en dernier ressort, des institutions nationales, qu'elle détînt tous les droits, sans exception, sans frein, sans recours ? Non !"]

      • Levée de boucliers de la part de tous les partis
        • de la part de ceux qui veulent une nouvelle constitution mais pas de référendum
        • de la part de ceux qui ne veulent ni nouvelle constitution ni référendum
      • [Opposant aux deux paragraphes démonstratifs du nouveau Solon deux paragraphes de même ampleur, l'auteur joue sur le contraste en créant un effet d'éparpillement et de criailleries :

        Perspective historique
        "système de 1875" / "désastre de 1940"

        Calendrier politicien
        "14 juin", "21 juin", "22 juin", "25 juin", etc

        "mon projet de référendum"

        "le bureau politique du parti communiste", "la confédération générale du travail", "les socialistes", "le conseil national de la Résistance", "la ligue des droits de l'Homme", "les tenants du système d'avant-guerre", etc


      • Echec de de Gaulle pour rallier à lui les opposants qui comptent
        • Léon Blum
        • Edouard Herriot
        • Louis Marin

        [Trois scènes-portraits de longueurs décroissantes. Si Léon Blum bénéficie d'un traitement d'abord bienveillant dans la mesure où ses idées semblent avoir évolué, il subit rapidement la démonstration de ses contradictions. La chute est sévère mais apitoyée : "Evidemment, Blum considérait sous la seule optique socialiste le grand problème dont je l'avais entretenu". Le traitement est plus expéditif encore pour Edouard Herriot, dont les paroles sont retranscrites au discours indirect libre, et qui lui aussi est renvoyé, mais avec plus d'ironie, à son étroitesse de vues : "Je lui demandai d'aider à la reconstruction de la France ; il me déclara qu'il se consacrerait à restaurer le parti radical". On ne retiendra du paragraphe de Louis Marin qu'une métaphore savoureuse et satirique : "Très ancien parlementaire, il était, d'ailleurs, attaché jusqu'aux moelles à la vie des assemblées, en goûtait les âpres et attrayantes fermentations et, au fond, ne souhaitait rien tant que de les voir reparaître telles qu'il les avait pratiquées".]

      • De Gaulle arrête donc d'autorité un projet d'ordonnance, qu'entérine le Conseil des ministres : un référendum sera organisé pour décider si l'assemblée sera constituante.

    2. A propos de l'ordonnance sur le référendum

      • Deux questions seront posées :
        • La nouvelle assemblée doit-elle être constituante ou non ? (si NON, on reste à la IIIe République, si OUI on envisage l'élaboration de la constitution d'une IVe République)
        • En cas d'élaboration d'une nouvelle constitution, le pouvoir de cette assemblée sera-t-il ou bien limité ou bien omnipotent ?

      • Opposition des partis, divisés en trois tendances mais unanimes contre la restriction des pouvoirs de l'assemblée
      • Echec de de Gaulle pour persuader l'Assemblée dans son discours du 29 juillet (reproduit p.471)
      • [Ce développement doit évidemment être mis en perspective avec les événements de mai 1958, en particulier l'accusation de bonapartisme ; voir surtout la similitude étonnante de la phrase : "j'avais relevé ses armes, ses lois, jusqu'à son nom" (p.315), avec celle de la mémorable conférence de presse du 19 mai 1958. Quant à la réminiscence de du Bellay, elle donne de la profondeur historique et une sorte d'éternité au propos gaullien.]

      • Le conseil des ministres de de Gaulle adopte donc le 17 août l'ordonnance définitive.

    3. A propos du mode de scrutin

      • Deux conceptions opposées chez les "politiques"
        • Le scrutin uninominal d'arrondissement (vestige de la IIIe République)
        • Le scrutin proportionnel intégral

      • Opposition de de Gaulle aux deux options
        • Ses arguments contre le scrutin d'arrondissement, qui amènerait d'une manière ou d'une autre une majorité de communistes ou de gens de gauche votant avec eux
        • Ses arguments contre la proportionnelle intégrale.
      • [Nouvelle démonstration implacablement structurée en balancements binaires : toutes les relations logiques sont tour à tour convoquées : addition, opposition, hypothèse, cause, conséquence, etc.]

      • Le choix du gouvernement provisoire : le scrutin de liste et la représentation proportionnelle à l'échelle départementale. De Gaulle le maintient malgré le tollé et l'intervention des syndicalistes.

    3. La bataille électorale et le résultat des élections

    Elle se résume finalement en une lutte entre le OUI demandé par de Gaulle et le NON demandé par les communistes.
    Les élections du 21 octobre. [Paragraphe factuel : données chiffrées.]

III. Analyse finale en forme de péroraison

  1. Récapitulation des forces en présence après cette élection : sur qui compter à présent ?

    1. Le parti communiste
    Un quart des suffrages, la majorité, mais pas un raz-de-marée. Malgré sa position de force à la Libération, le parti a trouvé en de Gaulle un adversaire efficace. Sa position ultérieure, vis-à-vis de la France et de Moscou, va dépendre de la capacité de la République à se rassembler dans l'union.

    [Progression implacable, assurée par les connecteurs temporels et logiques : "Ainsi, bien que, pourtant, si, c'est parce que, par contre, maintenant" et conclue par une alternative et une allégorie : "La réponse allait, pour une part, dépendre de ce que serait la République elle-même. Forte, fière, fraternelle, elle apaiserait peut-être, à la longue, cette révolte. Impuissante et immobile, elle déterminerait cette force à redevenir centrifuge."]

    2. Les autres partis politiques
    Leur destin dans la dernière consultation électorale semble lié à leur position vis-à-vis de de Gaulle.

    3. La nation
    Elle semble souhaiter que de Gaulle continue à la diriger au moins jusqu'à l'élaboration de la nouvelle constitution. Mais son appui devient incertain, d'autant que l'état d'urgence semble s'éloigner : le jeu des partisans va pouvoir reprendre.

  2. Amplification : la position personnelle de de Gaulle

    "Demeurer le champion d'une République ordonnée et vigoureuse et l'adversaire de la confusion qui avait mené la France au gouffre et risquerait, demain, de l'y rejeter." [allégorie, antithèse, balancement asymétrique et métaphore]
    "Quitter les choses avant qu'elles ne [le] quittent" [polyptote].

© Agnès Vinas