L’attitude de la Renaissance à l’égard du rire peut être caractérisée, à titre préliminaire et en gros, de la façon suivante : le rire a une profonde valeur de conception du monde, c’est une des formes capitales par lesquelles s’exprime la vérité sur le monde dans son ensemble, sur l’histoire, sur l’homme ; c’est un point de vue particulier et universel sur le monde, qui perçoit ce dernier différemment, mais de manière non moins importante (sinon plus) que le sérieux : seul le rire en effet peut accéder à certains aspects du monde extrêmement importants.

L’attitude du XVIIe siècle et des siècles suivants à l’égard du rire peut être caractérisée de la façon suivante : le rire ne peut être une forme universelle de conception du monde, il ne peut que concerner que certains phénomènes partiels et partiellement typiques de la vie sociale, des phénomènes d’ordre négatif ; ce qui est essentiel et important ne peut être comique ; l’histoire et les hommes qui l’incarnent (rois, chefs d’armée, héros) ne peuvent être comiques ; le domaine du comique est restreint et spécifique (vices des individus et de la société) ; on ne peut exprimer dans la langue du rire la vérité primordiale sur le monde et l’homme, seul le ton sérieux est de rigueur ; c’est pourquoi on assigne au rire une place dans les genres mineurs, dépeignant la vie d’individus isolés ou des bas-fonds de la société ; le rire est soit un divertissement léger, soit une sorte de châtiment utile dont la société use à l’encontre des êtres inférieurs et corrompus.

Telle est sous une forme, bien sûr, quelque peu schématique, la définition de l’attitude des XVIIe et XVIIIe siècles à l’égard du rire.

Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire
au Moyen-âge et sous la Renaissance

1970 pour la traduction française, pp.75-76