UNE vieille dame presque tricentenaire — elle est née en 1680 --vient de recevoir une extraordinaire cure de jouvence : après vingt-sept mois de travaux, qui auront coûté 65 millions de francs, la très vénérable Comédie-Française, conservatoire de notre patrimoine théâtral, est devenue l'un des théâtres les plus modernes du monde. Si la salle, avec ses velours rouges et ses ors, a gardé le visage classique qui sied au temple de la tradition, le plus remarquable est sans doute ce qui ne se voit pas : une machinerie commandée électriquement, des installations de climatisation, une insonorisation parfaite de la salle, un jeu d'orgue muni de calculateurs permettant de programmer les jeux de lumières les plus complexes. Luxe inutile ? Certainement pas. D'abord parce que les spectateurs, habitués aux salles de spectacle d'aujourd'hui, sont beaucoup plus exigeants. Et aussi parce que les mises en scène actuelles requièrent un matériel perfectionné... et beaucoup plus de travail qu'autrefois, car elles nécessitent de nombreuses répétitions. « En 1930, a coutume de dire Pierre Dux, l'administrateur général, on donnait à la Comédie-Française cent cinquante pièces par an. Aujourd'hui, on en donne quinze, et encore dans deux salles, au Palais-Royal et à l'Odéon. » C'est avouer combien cette modernisation était indispensable, et c'est une décision que Pierre Dux, dès sa nomination en 1970, n'avait eu aucun mal à faire admettre à Georges Pompidou et à Maurice Druon, ministre des Affaires culturelles, qui obtint les crédits nécessaires en 1972. Et le 4 novembre, le Président de la République et Mme Giscard d'Estaing, Mmes Simone Veil et Françoise Giroud, au milieu d'un public choisi où l'on reconnaissait la princesse Grace de Monaco et la Begum, ont assisté à la première représentation dans cette Comédie-Française rénovée.

A théâtre nouveau, pièce nouvelle, serait-on tenté de dire. Et ce n'est pas inexact : Lorenzaccio n'avait pas été repris au Palais-Royal depuis 1935. Peut-être y était-on un peu jaloux de l'inoubliable interprétation qu'en avait donné Gérard Philipe au T.N.P. ? En tout cas, le choix de Pierre Dux était mûrement réfléchi : si la pièce est l'une des plus belles de notre répertoire théâtral, elle est aussi le chef-d'oeuvre du plus jeune de nos poètes, Alfred de Musset, qui l'écrivit à vingt-quatre ans. Pour la mise en scène, Pierre Dux a fait appel à Franco Zeffirelli, dont personne n'a oublié, au cinéma, La Mégère apprivoisée et Roméo et Juliette. Longtemps directeur artistique des films de Luchino Visconti, c'est un spécialiste de Shakespeare. C'est aussi un homme qui a toujours été fasciné par une période de la vie, celle où la jeunesse, avec ses idéaux, se trouve confrontée aux réalités du monde, et par une période de l'Histoire : la Renaissance. Voilà pourquoi Zeffirelli avoue avoir comblé là un de ses voeux les plus chers : mettre en scène l'une des oeuvres qu'il admire le plus, avec la troupe de comédiens qu'il considère comme la meilleure du monde. Un jugement que partagent pleinement tous ceux qui ont vu Jean-Luc Boutté, Geneviève Casile et Claude Rich —pour ne citer qu'eux — nous faire sentir si profondément l'éternelle jeunesse d'Alfred de Musset et de cette authentique grande dame qu'est notre Comédie-Française.