Adaptation théâtrale de la scène de l'adultère



ACTE IV

L'entrevue ultime entre la princesse et le duc de Guise

 

Champigny, château du couple des Montpensier. Après avoir reçu la requête du duc de Guise, lequel exige de voir la princesse sinon il en mourra, Chabannes entre dans l'appartement de la princesse. Celle-ci, voyant Chabannes troublé, fait se retirer toutes ses femmes.

 

Scène 1 - LA PRINCESSE, CHABANNES

 

 
 
CHABANNES, tentant de se modérer, mais sans succès.

Ce faquin de Guise souhaite vous voir ! Il se trouve à une lieue d'ici, mais je...

 

LA PRINCESSE, poussant un cri.

De Guise, me voir ? (Tâchant de se reprendre) Mais le voir, ce serait dangereux et contraire à ma vertu. Et puis...la nuit est tombée, comment faire entrer de Guise à l'insu de mon mari ?... et je ne puis...

Un long silence dans la nuit.

 

CHABANNES

Princesse, je crains pour vous, (chuchotant en aparté) et pour moi, que vous me préfériez ce malotru. (À haute voix) Qui vous connaîtrait mieux que moi ? Qui connaîtrait mieux que moi votre dure innocence, jamais offerte, toujours dans le secret ? (Se mettant à genoux) Oh princesse ! Ne vous trompez pas d'étoile ! Moi je connais la vôtre... (Chuchotant seulement pour le public) Elle est auprès de moi. (À haute voix) Oh hélas, cette entrevue...Vous encourrez des risques bien trop grands, pensez à votre mari ; (chuchotant pour le public) non, à moi. (À haute voix) Si après tout ce que je viens de vous représenter, madame, votre passion est la plus forte  et que vous vouliez voir le duc de Guise, que ma considération ne vous en empêche point, si celle de votre intérêt ne le fait pas. Je ne veux point priver de sa satisfaction une personne que j'adore, ou être cause qu'elle cherche des personnes moins fidèles que moi pour se la procurer. (La tête haute) Oui, Madame, si vous voulez, je vais quérir le duc de Guise dès ce soir, car il est trop périlleux de le laisser plus longtemps où il est, je l'amènerai dans votre appartement !

 

LA PRINCESSE, surprise par la décision de Chabannes, trébuche sur sa robe, s'étale,
puis tente de reprendre un peu de dignité

Mais par où et comment ?

 

CHABANNES, fier, dans un grand cri

Ah ! Madame, c'en est fait, puisque vous ne délibérez plus que sur les moyens. Il viendra, madame, ce bienheureux ; je l'amènerai par le parc. Donnez ordre seulement à celle de vos femmes à qui vous vous fiez qu'elle baisse le petit pont-levis qui donne de votre antichambre dans le parterre, précisément à minuit, et ne vous inquiétez pas du reste. (À voix basse) Pour vous madame, je ferais tout.

 

LA PRINCESSE

Ah cette fois, j'ai entendu...

 

Chabannes fait mine de rien et sort de scène, tête baissée.

 

Scène 2 - LA PRINCESSE, d'abord seule, puis UNE DE SES FEMMES
 
 
LA PRINCESSE, troublée, s'adressant au public

Je...Je devrais le rappeler ! C'est bien trop dangereux, il me suffit de ne pas faire baisser le pont.

Elle fait les cents pas mais ne manque pas de s'étaler pour la deuxième fois, et décide donc se s’asseoir sur le lit pour attendre.

Onze heures approchent... (Elle se lève d'un bond) Je ne puis résister à l'envie de voir de Guise ! Femme ! Femme !

Entre une de ses femmes.

FEMME

Oui madame ?

 

LA PRINCESSE, lui prenant les deux poignets

Je t'en prie, à minuit pile, pas une minute de plus ou de moins, fais baisser le pont-levis.

 

FEMME

Très bien, madame.

 

LA PRINCESSE

Garde cela pour toi.

FEMME

 

A vos ordres, madame.

 

La femme sort de la pièce. La princesse part se rasseoir sur le lit, les lumières se tamisent.

 

 

Scène 3 - CHABANNES, DE GUISE, MONTPENSIER, LE VALET, LA PRINCESSE

 

Chabannes et de Guise arrivent devant la porte de la chambre de la princesse

 

CHABANNES, chuchotant

Ne faites aucun bruit, pour ne pas réveiller le prince : son appartement donne sur le même parterre de celui de la princesse. S'il nous découvre, le désastre de cette entrevue retombera sur elle et je ne pourrai vous le pardonner.

 

De Guise, acquiesce mais marche d'une façon grossière. La voix off de Montpensier, que seul le public entend, interpelle un de ses valets.

 

MONTPENSIER

Valet ! J'ai entendu du bruit, allez voir ce que c'est.

Une minute plus tard, une seconde voix s'élève, celle du valet.

 

VALET

Maître ! Maître ! le pont-levis est abaissé !

 

 
CHABANNES (à Guise)

Mon devoir est accompli, je vous laisse et je vais me poster devant l'appartement du prince. (Il sort de scène.)

 

 

Scène 4 - LA PRINCESSE, DE GUISE

Un moment de silence souligne le malaise.

 

 

LA PRINCESSE, honteuse

Guise, entrez...

De Guise n'ose pas bouger. Elle s'approche de lui et le tire violemment par le bras, si bien qu'il manque de peu de perdre l'équilibre

Entrez, je vous dis !

 

DE GUISE, hurlant

Oui ! Pardonnez moi ! (Se rendant compte du bruit qu'il vient de provoquer) Oups... Je suis vraiment d'une maladresse...

De lourds bruits de pas résonnent sur scène, Montpensier arrive.

 

 

Scène 5 - LA PRINCESSE, DE GUISE, CHABANNES, MONTPENSIER

 

MONTPENSIER, se dirigeant vers la porte avec impétuosité

Que l'on m'ouvre tout de suite, à présent !

 

CHABANNES, accourant sur scène vers la princesse et de Guise et chuchotant

Madame, on ne peut cacher qu'il y ait quelqu'un...

 

DE GUISE, comprenant le danger

Oh non ! Qu'allons-nous faire ? Je ne veux pas mourir ! Qu'attendez-vous ? Cachez-moi ! Ne comprenez-vous pas que c'est ma vie qui est en jeu ? Moi, le grand de Guise !

La princesse et Chabannes se regardent, outrés et choqués par ce discours.

 

CHABANNES, bombant le torse

Je pourrais m'enfuir et vous laisser exécuter par le prince. Mais je ne puis moi, comte de Chabannes, refuser d'affronter les obstacles qui se dressent devant moi. Partez, sale rat !

 

DE GUISE, confiant à Chabannes le destin de la princesse

Parfait. Sur ce, je vous laisse.

De Guise, prenant ses jambes à son cou, s'enfuit par la petite porte de souris qui se trouve à gauche de la scène. Montpensier, continuant d'infliger mille coups de poings à la grande porte à droite de la scène, celle-ci succombe et s'écroule à terre. Montpensier, furieux, cherche le coupable du regard, et ses yeux se portent sur Chabannes. Celui-ci est appuyé sur la table, et son visage exprime la peine et la tristesse.

 

LA PRINCESSE, s'évanouissant

Oh ! Je crois bien que je m’évanouis !

 

MONTPENSIER, sur un ton dramatique

Que vois-je ? Est-ce vérité ou illusion ? Un homme chez ma femme à cette heure la nuit ? Est-il possible que celui que j'ai aimé si chèrement choisisse ma femme entre toutes les femmes du monde pour la séduire ? (Se prenant le visage entre les mains) Et vous, madame, n'était-ce point assez de m'ôter votre cœur et mon honneur sans m'ôter le seul homme qui me pouvait consoler de ces malheurs ?

Voyant que personne ne daigne lui répondre, il se carre les bras croisés, le regard froid.

Répondez-moi l'un ou l'autre ! Et éclaircissez-moi d'une aventure que je ne puis croire telle qu'elle me paraît.

 

CHABANNES, ne trouvant pas ses mots

Hum... je... eh bien... je... je suis criminel à votre égard et indigne de l'amitié que vous avez eue pour moi, mais ce n'est pas de la manière que vous pouvez vous l'imaginer. Je suis plus malheureux que vous, s'il se peut, et plus désespéré. Je ne saurais vous en dire davantage ; ma mort vous vengera, et si vous voulez me la donner tout à l'heure, vous me donnerez la seule chose qui peut m'être agréable.

 

MONTPENSIER, indifférent à la proposition

Ôtez-moi la vie vous-même ou tirez-moi du désespoir où vous me mettez. C'est la moindre chose que vous devez à l'amitié que j'ai eue pour vous, et à la modération qu'elle me fait encore garder, puisque tout autre que moi aurait déjà vengé sur votre vie un affront dont je ne puis quasi douter.

 

CHABANNES, plus confiant

Eh bien, les apparences sont bien fausses !

 

MONTPENSIER, indigné

Alors là c’en est trop ! Il faut que je me venge, et puis je m’éclaircirai à loisir.

Il s’avance vers Chabannes comme pour le provoquer. La princesse se lève brusquement pour faire barrage entre les deux hommes.

 

LA PRINCESSE, agacée

Arrêtez-vous donc messieurs ! Cela ne sert de rien. Calmez vos ardeurs !

Mais trop faible pour rester debout, elle s’évanouit et entraîne  son mari dans sa chute. Ils manquent de peu le coin du lit et finissent sur le sol.

 

MONTPENSIER

Mais enfin, sachez vous tenir, Madame !

Chabannes, agacé, enjambe les deux gisants sans dire un mot, avec un simple regard moqueur, et quitte la pièce.

 

MONTPENSIER, se relevant et s’adressant aux servantes

Mesdames ! Mesdames ! Occupez-vous de celle-ci, elle ne semble pas pouvoir s’en remettre ! Faites en sorte qu’elle se porte mieux rapidement !

Mais dans son élan, ne regardant pas ce qu’il fait, il trébuche une énième fois sur la robe de la princesse, se relève et sort comme si de rien n'était.


FIN DE L' ACTE IV




Nous avons décidé d’adapter la scène tragique de l’entrevue de la princesse de Montpensier et du duc de Guise avec l’aide de Chabannes, ce qui, dans la nouvelle, conduit à leur perte et au désespoir Chabannes, le prince et la princesse de Montpensier.

Nous avions déjà en tête la scène du bal, une scène absurde dans laquelle la princesse confond le duc d’Anjou et le duc de Guise, à cause des masques que portaient ces deux hommes. Nous trouvions que la princesse manque de maîtrise et de conscience, qu’elle ne sait jamais vraiment quels sentiments elle éprouve, qu'elle s'évanouit un peu trop facilement. Avec les trois hommes qui l’accompagnent, elle ne sait que faire, un peu sotte ou maladroite notamment avec Chabannes. Tout cela peut d'ailleurs se comprendre, car elle n’est qu’une enfant, une toute jeune adulte, dans la nouvelle.

C’est pourquoi nous avons choisi ce registre burlesque, car cela donne un peu de modernité et surtout un peu plus de relief à la princesse, en la rendant totalement maladroite : mais pour cela il fallait exagérer ses actes et ses mouvements, et créer un décalage entre la solennité du registre de langue et des situations fondées essentiellement sur du comique de gestes.

Nous avons également voulu changer la présentation du « pauvre comte de Chabannes » qui dans la nouvelle suscite essentiellement de la pitié. Il est trop gentil, tout lui tombe dessus : « Le comte de Chabannes ouvrit plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler » tandis que dans notre adaptation, nous avons décidé de lui donner plus de caractère. Il ressent de la haine envers le duc de Guise, et même il en vient à l’insulter ; alors que dans la nouvelle il ne fait que l’aider pour faire plaisir à la princesse, même s'il est désespéré : « Le comte de Chabannes, au milieu de son désespoir, avait conservé quelque rayon d'espérance que la princesse de Montpensier aurait fait revenir sa raison et qu'elle se serait résolue à ne point voir le duc de Guise ». Dans notre scène, il sort avec un regard moqueur : pour lui le dénouement ne sera pas tragique.

Enfin, en ce qui concerne le prince de Montpensier, nous avons respecté le fait que dans la nouvelle la découverte d’une entrevue secrète, qui est une tromperie à son égard, le rend fou de rage : cela nous a beaucoup aidées pour les didascalies. Mais nous avons aussi tenu compte de l'ironie de Mme de Lafayette en exagérant sa fureur, de manière à le rendre hors de contrôle et ridicule : cela donne à sa jalousie hyperbolique une dimension de vaudeville qui ôte tout tragique à la situation, rebattue au théâtre, du triangle du mari, de la femme et de l'amant.


Adaptation bulesque réalisée par Eva Beghin, Célia Daullet, Morgane Ducrot et Veomany Souidaray, TL2 - Novembre 2018.