Musée historique - Portraits des personnages


1. La princesse de Montpensier

La princesse de Montpensier, historiquement Renée d'Anjou, est la fille unique du marquis de Mézières, descendante de la famille d’Anjou. D'abord promise au duc du Maine, frère du duc de Guise, elle se marie avec le prince dauphin d'Auvergne, futur duc de Montpensier. Mme de Lafayette imagine que malgré ce mariage, elle reste passionnément amoureuse du duc de Guise. Elle est âgée de seize ans au début de la nouvelle, en 1566, puis de vingt-deux ans en 1572.

Cette jeune femme d’une beauté « surnaturelle », si belle qu’elle « effac[e] toutes celles qu'on avait admirées jusques alors », possède en plus de cela une certaine finesse d’esprit. Elle fait aussi preuve d’une « grâce admirable » et de beaucoup de charme, charmes d’ailleurs qualifiés de « dangereux » par le duc d’Anjou et qui feront tomber nombre d’hommes à ses pieds, tels que le comte de Chabannes, qui « ne put se défendre de tant de charmes qu'il voyait tous les jours de si près » ou le duc d’Anjou par exemple, qui n’en fut « pas moins surpris des charmes de son esprit [qu’il l'avait été] de sa beauté ». « Elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne. ». De plus, la princesse fait preuve de modestie lorsque le duc d’Anjou et le duc de Guise ne cessent de la complimenter lorsqu’ils voguent tous les trois sur la barque, en direction de Champigny.

Pourtant, même si elle paraît froide et sûre d'elle au début du récit, elle laisse en réalité ses émotions la submerger. En effet, « le trouble et l'agitation » étant « peints » sur son visage lorsque le duc de Guise lui déclare sa flamme. Elle est aussi très sensible et s'évanouit lors de la dispute qui éclate entre le prince et Chabannes. De plus, quand il s’agit du duc de Guise, sa passion la rend déraisonnable, puisque, après avoir fléchi « si aisément aux excuses du duc », elle s’engage « dans une chose qu’elle avait regardée avec tant d’horreur ». De plus, elle devient indécise et songe à accomplir des actions peu vertueuses : « Ces pensées lui firent faire de nouvelles résolutions, qui se dissipèrent dès le lendemain par la vue du duc de Guise. ».

Finalement, sa bonne éducation cache une personne quelque peu hautaine, orgueilleuse, qui n’hésite pas à tourmenter le comte de Chabannes jusqu’à le faire partir de Champigny à cause de la passion qu’elle éprouve pour le duc de Guise. Les risques considérables qu’elle prend la conduiront à une mort pathétique et tragique.

 

Portrait de Renée d’Anjou, marquise de Mézières
Anonyme - vers 1568

Portrait de Marie de Boubon-Montpensier
Louis Beaubrun - vers 1625

 

Le premier portrait datant du XVIe siècle représente le modèle historique de Mme de Lafayette, comme l'indique l'inscription sur le fond du tableau. Renée d'Anjou est vêtue d'une robe rouge,  couleur symbolisant les divinités détentrices du pouvoir, aux  manches tailladées et bouffantes, qui s'appuient sur un coussin rembourré de jonc de mer. Au niveau des épaules, la robe n'est plus faite de tissu mais de dentelle blanche ornée de motifs floraux et de perles. On retrouve le motif de la fleur au coeur de perle sur les épaulettes. Par ailleurs, le cou de la princesse est décoré d'une collerette en soie, d'un ras de cou noir et d'un collier de perles. Nous retrouvons d'ailleurs ces perles au niveau des boucles d'oreilles en or de la princesse qui sont, en plus de cela,  ornées d'une pierre précieuse de couleur rouge. Pour finir, les cheveux sont couverts d'une coiffe en dentelle blanche à l'extrémité de laquelle se trouve à nouveau une pierre précieuse ainsi qu'une perle.

Sur le second portrait datant du XVIIe siècle, la petite-fille de la princesse de Montpensier, Marie de Bourbon-Montpensier, est vêtue d'une robe noire pleine d'élégance et de simplicité, à col rabattu en dentelle mettant en valeur son décolleté, un bustier en dentelle richement brodé de fils d'argent et orné d’une chaine de perle ainsi que d’une rose noire. Compte tenu de son rang important, puisqu'elle est l'épouse de Gaston d'Orléans, frère du roi, la princesse porte de nombreux bijoux : un collier de perles autour du cou, des perles aux oreilles ainsi que plusieurs rangs de perles qui décorent son costume. Les bijoux et le maquillage étaient très importants à cette époque.

Sur le premier portrait, le costume paraît beaucoup plus fastueux, luxueux, avec de nombreux ornements et parures de toutes sortes, tandis que sur le second, la beauté est beaucoup plus naturelle, plus élégante, tout comme la princesse de la nouvelle.


Madame de Lafayette se sert de la princesse de Montpensier pour proposer un idéal d'éducation presque impossible à réaliser à l’époque. En effet, au XVIIe siècle l’éducation des femmes (seulement les plus fortunées) est en grande partie religieuse, ayant pour but d’en faire des mères et des épouses parfaites. Leur éducation intellectuelle est donc négligée, puisque leur seul but est d’être au service de leurs famille. C’est seulement durant la seconde moitié du XVIIe siècle que les Précieuses, femmes cultivées et affectionnant les jeux de l’esprit, discutent et débattent sur de nombreux sujets et notamment celui de l’amour. A travers la princesse de Montpensier, Madame de Lafayette nous montre qu’une femme peut parfaitement être éduquée et que cela est nécessaire à son ascension et/ou à sa réussite sociale. Malgré tout, comme nous pouvons le voir dans cette nouvelle, l’éducation de la princesse est vaine et ne lui permet pas de combattre ses passions.

Car tout comme Chabannes, la princesse de Montpensier sert aussi d’exemple pour démontrer à quel point les passions sont néfastes. En plus de pousser la princesse à effectuer les mauvais choix, à trahir ses valeurs et à s’écarter du chemin de la vertu, elles la conduisent à une mort pathétique et tragique, tout comme le comte. La princesse représente donc bien, pour le XVIIe siècle, le conflit entre le cœur et la raison, l'inclination fatale de la passion, selon une analyse janséniste.

 

2. Le prince de Montpensier

Le personnage historique qui a servi de modèle à Mme de Lafayette était François de Bourbon, « prince dauphin d'Auvergne ». Il n'est devenu duc de Montpensier qu'à la mort de son père en 1582, de sorte que son titre de prince de Montpensier dans la nouvelle est anachronique. Il est l’époux de la princesse de Montpensier, âgé de vingt-quatre ans au début du récit, en 1566 et de trente ans en 1572.

Madame de Lafayette donne sur lui peu de détails physiques, à part le fait qu’il est jeune. Nous supposons qu’il est doué au combat, puisqu’il remporte chaque combat auquel il est mêlé durant la guerre.

C'est surtout un homme excessivement jaloux. En effet, dès sa rencontre avec son épouse, il éprouve du chagrin en pensant qu’il ne serait pas le seul à la trouver belle. Sa jalousie est d’ailleurs qualifiée de « naturelle » et le rend violent auprès de son épouse. En effet, « il s'emporta avec des violences épouvantables » afin que la princesse cesse de parler au duc de Guise. Il est, tout comme le duc de Guise, très rancunier puisque la haine qu’ils éprouvèrent l’un envers l’autre « ne finit qu'avec leur vie » et qu’il « fut bien aise de se voir vengé par les mains de la fortune » lorsque Chabannes fut tué. Malgré tous ses défauts, le prince a un grand sens du devoir, puisqu’il n’hésite pas, malgré la contrainte, à « quitter sa femme pour se rendre où son devoir l'appelait ». Enfin, il ne semble aimer la princesse que lorsque celle-ci est convoitée par un autre. Il est donc orgueilleux et ne supporte pas d’avoir un rival. En effet, après la visite du duc de Guise et d’Anjou, il se brouille avec la princesse et éprouve une jalousie « furieuse » pour les deux hommes. Enfin, malgré toute cette agressivité, il est tout de même présenté de manière ironique par Madame de Lafayette, notamment durant son altercation avec Chabannes où il agit avec « rage » et menace le comte sans pour autant être armé : on réalise alors qu’il est très excessif.

 

François de Bourbon, duc de Montpensier
Anonyme - 1584
dessin 34,3 x 24 cm - BnF

François de Bourbon, duc de Montpensier
attribué à Thierry Bellangé - vers 1628
dessin 13,2 x 11 cm - Château de Pau

 

Sur le premier  portrait datant du XVIeme siècle, la seule partie du costume visible est la fraise à godrons en soie très échancrée. Cependant,  nous supposons que le costume complet se compose d'une chemise, d'un pourpoint et d'un haut de chausse. Sur le second portrait datant du XVIIeme siècle, le prince est habillé d'un pourpoint noir au motif gris et d'une chemise grise. Le cou du prince est à nouveau couvert d'une fraise à godrons toujours aussi échancrée.

Comparé au premier portrait, le prince de Montpensier représenté au XVIIème siècle paraît beaucoup plus dur malgré son léger sourire, il a aussi l'air plus vieux, plus soucieux et surtout plus austère que sur le premier dessin, ce qui peut être dû à la guerre.

Madame de Lafayette fait du prince de Montpensier le symbole de la jalousie. Il est dominé par son amour-propre et tient particulièrement à l’image de lui qu’il veut donner à la cour : il est totalement dépendant du regard d’autrui. En effet, il n’hésite pas à violenter la princesse, il s’emporte contre elle avec « des violences épouvantables » lorsqu’il la voit parler au duc de Guise durant le bal et lui défend à jamais de lui parler, tout cela afin de protéger son image. En effet, il souhaite que son épouse l’écoute, qu’elle lui reste fidèle et surtout qu’elle lui obéisse au lieu de se laisser courtiser par d’autres hommes. Il décide même de renvoyer la princesse à Champigny, lorsqu'il remarque que le duc de Guise peine à cacher son amour pour elle lors du mariage de Madame et du roi de Navarre. C'est un commandement « bien rude » pour la princesse mais qu’elle est obligée d'exécuter, tout cela encore pour ne pas ternir son image d’époux autoritaire et respecté.

 

3. Le duc d'Anjou

Le duc d’Anjou est l’un des membres de « l’illustre famille d’Anjou », mais il appartient surtout à la famille royale, puisqu'il est le frère du roi Charles IX, futur roi de Pologne et futur roi de France sous le nom d'Henri III. Il est âgé de quinze ans au début du récit, en 1566, puis de vingt-et-un ans en 1572. Combattant glorieux, il est le dernier des protagonistes à être présenté dans la nouvelle, ce qui n'en fait pas pour autant un personnage secondaire..

Madame de La Fayette n’offre pas de description précise du duc d’Anjou, à part le fait qu’il est un homme« fort bien fait ».

D’un point de vue psychologique, le duc d’Anjou est un homme « fort galant », qui tente à plusieurs reprises, et notamment lors de la scène de la rivière, de séduire la princesse qu’il désire « ardemment ». En effet, il la complimente plusieurs fois à propos de sa beauté, des « charmes de son esprit » et de son « agréable compagnie » et devient de ce fait le rival du duc de Guise. Plus tard la cour, il prend « un soin extrême » de lui faire connaître la nature de ses sentiments à travers « toutes sortes de soins et de galanteries ». Il ne cesse d’ailleurs de la suivre pour lui « témoigner sa passion en tous lieux ».

Le duc d’Anjou est aussi un homme très observateur : c’est en observant « soigneusement » la princesse lors du bal qu’il arrive à déceler chacune de ses émotions. Cette qualité se double d'une grande capacité de manipulation, puisqu’il ne cesse d’inventer des mensonges pour rester aux côtés de la princesse. La première fois, « il inventa une affaire considérable qu'il disait avoir au-delà de la rivière » afin de monter dans la barque de la magnifique princesse de Monptensier ; la seconde fois, il feignit des « affaires extraordinaires » pour rester séjourner à Champigny, toujours aux côtés de la princesse. C’est lorsqu’il se rend compte que la princesse ne l’aimera jamais que l’on découvre une autre facette de sa personnalité : «  La jalousie, le dépit et la rage se joignant à la haine qu'il avait déjà pour [Guise]» le rendent violent lorsqu’il apprend que ce dernier a sacrifié sa sœur, Madame, pour la princesse. Et même si « la dissimulation qui lui était naturelle » - c'est un homme de la cour après tout - l’empêche d’entreprendre quoi que ce soit contre le duc, il ne peut «  se refuser le plaisir de lui apprendre qu'il savait le secret de son amour ». Il menace alors le duc de Guise, autrefois son ami et compagnon de guerre, en lui disant que sa mort « sera peut-être la moindre chose » dont il punira sa témérité. Il contraint de Guise à renoncer au mariage avec sa sœur en salissant son image auprès du roi, son frère, en ne faisant à son égard que de « mauvais offices ». Mais par ailleurs, le duc d'Anjou est parfaitement maître de ses actes : quand il comprend que la princesse ne lui rendra jamais l’amour qu’il éprouve pour elle, il se retire, bien qu’il puisse à « peine achever ces paroles » à cause de la douleur qu’il éprouve.

 

Henri III avant son avènement
Jean Decourt - vers 1572
Peinture à l'huile sur bois - 35 x 25 cm
Musée Condé - Chantilly

Portrait d'Henri III
d'après Jean Decourt - 1654
Peinture à l'huile sur toil - 58 x 48 cm
Musée du Louvre

 

Dans le premier portrait datant du XVIe siècle, le costume du jeune duc d’Anjou se caractérise par son ampleur et sa somptuosité. Il est habillé d’un pourpoint noir orné de motifs dorés, avec une cape assortie. Son cou est engoncé dans une fraise à godrons en soie. Il arbore un collier de perles, symbole du prestige familial mais aussi de richesse, plutôt voyant, orné de pierres précieuses, peut-être des rubis. Nous retrouvons ces perles et ces pierres précieuses sur le béret rond et plat en feutre empanaché, célèbre à l’époque, de couleur noire. La couleur dorée étant à l’époque considérée comme la plus proche de la lumière divine, c'est un symbole de puissance et de richesse qui a son importance dans ce portrait.

Dans le second portrait inspiré de peintures du XVIe siècle mais datant cette fois-ci du XVIIe, le costume du duc d’Anjou devenu Henri III est beaucoup moins fastueux, beaucoup plus simple. Il correspond à la dernière partie du règne, marquée par l'austérité et le retour à une pratique religieuse stricte. Le roi ne porte presque plus de vêtements dorés, à part les boutons de son pourpoint noir et le ruban bleu de sa décoration. Le couvre-chef non plus n’est plus le même : il s’agit plus cette fois d’une sorte de bonnet ou de chapeau en feutre que d'un béret, tout de même orné d’une parure en or dans laquelle est incrustée une pierre précieuse. Ce portrait tardif représente donc un homme plus simple, au costume mois fastueux et extravagant que celui du jeune homme qu'il était avant de monter sur le trône, avec un costume somptueux aux accessoires ornés d’or, de pierres précieuses et de perles.


Le duc d’Anjou est l’exemple typique de l’homme de la cour : il est manipulateur, menteur, observateur et surtout imperturbable. Il sait parfaitement se contenir et masquer ses émotions, tout en décelant celles des autres. Mais il représente aussi l’honnête homme du XVIIe siècle par son côté galant. Il a une importance sociale et dramatique inversement proportionnelle à son temps d’apparition dans l’intrigue ; en effet, c'est le dernier protagoniste présenté par Madame de Lafayette. Parce qu’il appartient à un milieu royal et qu’il est typé comme un personnage rendu dangereux autant par son pouvoir que par son tempérament, il joue dans l’intrigue le rôle que peut jouer un roi ou un prince dans la tragédie : sans être tragique lui-même, il a une capacité de bouleversement qui rend tragiques d’autres destins autour de lui. Il empêche le duc de Guise d’épouser la future reine de Navarre, par exemple. De sorte qu’il est l’un de ceux qui illustrent le mieux la phrase de l’incipit de la nouvelle, en causant (et en subissant lui-même) un grand nombre des perturbations que peut causer l’amour à la fois dans une âme et dans les relations humaines.

 

 

4. Le duc de Guise

Le duc de Guise est l’un des personnages principaux de la nouvelle. Il est le frère du duc du Maine, le neveu du duc d'Aumale et du cardinal de Lorraine qui, d’ailleurs, « lui tenait lieu de père » et fait donc partie d’une grande famille noble de l’époque. Il est âgée de seize ans au début du récit, en 1566, puis de vingt-deux ans en 1572.

Physiquement, il a l’allure d’un véritable guerrier, notamment avec la cicatrice sur la joue gauche qu’il a reçue durant les nombreuses batailles dans lesquelles il a combattu. Cela lui a d’ailleurs valu le surnom de « Balafré ».

C’est un homme impulsif, violent et rancunier. Nous remarquons cela notamment lorsqu'il apprend que Mademoiselle de Mézières se retrouve promise au prince de Montpensier. En effet, « Il s'emporta avec tant de violence, même en présence du jeune prince de Montpensier, qu'il en naquit entre eux une haine qui ne finit qu'avec leur vie'' ou lorsqu’il souhaite se venger du duc d’Anjou, vengeance qu’« il travailla toute sa vie à satisfaire ». Il est aussi très orgueilleux et fait preuve d’une « fierté naturelle » : « La fierté du duc de Guise n'était pas accoutumée à de telles menaces ». Par ailleurs, le duc de Guise est un homme passionné, fou amoureux de la princesse, et il souhaite « ardemment » l’épouser. En effet, il éprouve un « si violent désir » de la voir et n’hésite pas à s’infiltrer dans ses appartements tant il éprouve pour elle une si grande « passion ». Il ne cessera de la tenter et de la séduire dès le début du récit lorsqu’il en devint amoureux et qu’il est aimé en retour, et durant toute la nouvelle. Pourtant, malgré cet amour, le duc de Guise n’en reste pas moins un homme intéressé, qui n’hésite pas à épouser la marquise de Noirmoutier « qui donnait plus d’espérances » que la princesse lorsque celle-ci tombe malade, ce qui fait de lui un personnage infidèle. Le duc d’Anjou prévient d’ailleurs la princesse à ce sujet en lui disant que le duc est un « homme qui n’est capable que d’ambition ».

 

Henri de Lorraine, duc de Guise
Anonyme - vers 1566-68
Peinture à l'huile sur bois - 32 x 23 cm
Musée de Versailles

Henri de Lorraine, duc de Guise
Anonyme -1624
Peinture à l'huile sur toile -87 x 67 cm
Musée de Versailles

 

Nous pouvons voir sur le portrait datant du XVIe siècle que le jeune duc de Guise paraît innocent, avec ses cheveux blonds. Sa balafre sur sa joue gauche est présente mais presque invisible. Il est habillé d’un pourpoint couleur d’or (couleur considérée comme la plus proche de la lumière divine à l’époque) aux boutons et motifs couleur argent. Les manches sont tailladées afin de laisser voir la chemise qui est, elle, blanche ornée de motifs dorés. Le cou du duc de Guise est quant à lui mis en valeur par un col en dentelle volumineux appelé « fraise à godrons».


Sur le portrait datant du XVIIe siècle, le duc de Guise paraît plus vieux, le visage dur, il a les cheveux bruns, et sa balafre est masquée par l'orientation du portrait vers notre droite. Son costume est presque le même, mais à la place du pourpoint il porte le plastron d'une cuirasse à la fois doré et argenté, orné de motifs floraux et de rectangles noirs. Enfin, il est cette foi-ci armé d’une épée elle aussi couleur d’or et d’argent. La dimension guerrière du personnage est accentuée dans cette peinture, et il est représenté d'une façon plus réaliste, moins idéalisée.

En fonction du siècle, l’image du duc de Guise varie : au début de sa carrière, il est perçu comme un jeune noble prometteur, plutôt innocent avec ses cheveux blonds et son teint pâle. Mais un siècle plus tard, on connaît le rôle qu'il a joué dans la Ligue, les troubles des guerres de religion, et sa fin violente : il est donc représenté avec un visage dur, le regard sombre, et une arme qui lui donne un air plus violent, plus guerrier.


Dans la nouvelle de Mme de Lafayette, le duc de Guise est un virtuose de la manipulation galante : il sait parfaitement comment assiéger la princesse et la conduire à céder à son inclination à travers de nombreuses « marques cachées ». Dès le début, il s’immisce dans la relation de son frère, le duc du Maine, et de la future princesse, et il la séduit dans une attitude de défi, ne pouvant résister à sa « grande beauté ». La scène de la rivière témoigne de son entêtement : « il lui dit plusieurs fois, devant tout le monde, sans être entendu que d'elle, que son cœur n'était point changé », ce qui rallumera la flamme de la princesse qui, à la simple vue du duc, devient tout troublée et rougissante.

C’est lors de la scène du bal que le duc de Guise pousse la séduction au paroxysme. Il commence par lui avouer que sa passion pour elle ne l’a jamais quitté, au contraire, « elle s'est si fort augmentée » que la « sévérité [de la princesse], la haine de M. de Montpensier et la concurrence du premier prince du royaume ne sauraient lui ôter un moment de sa violence. ». Il abandonne alors la princesse à son trouble pour un court instant, sans lui laisser le temps de répondre. Le jour suivant, il l’ignore et quitte le bal pour lui montrer que sans elle, rien n’a d’importance. C’est lorsqu’il renonce à se marier à Madame, future reine de Navarre, afin de gagner le coeur de la princesse - même s’il en avait déjà « gagné une grande partie » - qu’il la conquiert entièrement. Nous remarquons aussi lors de cette scène que le duc de Guise manie les mots à la perfection, ne cessant de s’excuser en jurant à la princesse qu’il est amoureux d’elle à maintes reprises, lui faisant à chaque fois perdre la raison.

Le duc de Guise est donc bien le tentateur de la princesse, qui fait naître en elle la plus forte des passions et la rend déraisonnable. C’est grâce à la forte emprise qu’il a sur elle qu’il finira par atteindre son but. En effet, lorsqu’il s’introduit à Champigny, le pont s’abaisse et il ne peut alors « douter de rien », le pont représentant ici à la fois les portes du château mais aussi celles du coeur de la princesse, son abandon total face à un séducteur qui, une fois l'aventure passée, n'hésite pas à chercher nouvelle fortune ailleurs.


5. Le comte de Chabannes

Le comte de Chabannes est le seul personnage qui soit inventé dans la nouvelle, mais son nom est inspiré d’une grande famille du Limousin proche des protagonistes, puisque Antoinette de Chabannes était la grand-mère paternelle de Renée d'Anjou, la princesse historique.

Chabannes est nettement plus âgé que le reste des personnages et en tant que comte, son rang est inférieur à celui du couple princier. Madame de La Fayette ne le décrit physiquement à aucun moment, elle nous en dresse à la place un portrait psychologique.

En effet, le comte est « d’un esprit fort sage et fort doux », c’est lui qui fait de la princesse « une des personnes du monde la plus achevée », ce qui suggère son immense savoir et ses talents pédagogiques. Il est aussi un homme loyal et un ami fidèle, puisqu’il abandonne le parti des Huguenots par amitié pour le prince de Montpensier qui lui est «si cher ». De plus, il prend sur lui les fautes de la princesse afin de la protéger, elle et son couple. Le comte de Chabannes est aussi un homme respectueux, vertueux, puisqu’il combat la plus « violente » et « la plus sincère des passions » qu’il éprouve pour la princesse durant une année entière, sachant qu’il lui est interdit d’éprouver ce genre de sentiment à son égard. Il souhaite à tout prix préserver un ordre social et moral : « S'il ne fut pas maître de son cœur, il le fut de ses actions ». Pourtant la passion qu’il éprouve pour la princesse change son comportement au fil du récit, le transformant en un homme « plus soumis qu'il n'avait jamais été » qui « abus[a] de l’amitié » du prince, lui qui avait une maîtrise de lui-même et qui était si fidèle. C’est d’ailleurs à cause de cette passion qu’il « s’abandonner[a] entièrement à la douleur » et qu’il mourra pathétiquement.

 

Léonard de Vinci - L'homme de Vitruve - 1490
Dessin à la plume et au lavis - 34 x 26 cm
Galleria dell’Academia de Venise

Caroline de Vivaise
Costume de Chabannes - 2010
Exposition Costumer l'Histoire - Loches

 

Nous avons choisi de représenter Chabannes à travers l’homme de Vitruve, symbole de l’humanisme, même s'il est nettement moins caractérisé comme tel dans la nouvelle que dans l’adaptation cinématographique. Chabannes est en tout cas un homme très cultivé, épanoui et érudit, qui correspond à l’idéal humaniste : il possède un grand savoir, un « esprit sain dans un corps sain », et il a la volonté de rendre la princesse meilleure, de lui inculquer des valeurs, d’user de son savoir pour l’aider à devenir meilleure. Par ailleurs, le comte de Chabannes, au début du récit, est un homme sage, plein de vertu et doté d’une grande morale. Il devient le confident de la princesse, le « meilleur ami du monde » pour elle. C’est pour cela qu’il tente de la conseiller, afin d’éviter qu’elle ne s’écarte du chemin de la vertu. Il a tout à fait conscience de ce qui est bien et de ce qui est mal, il sait que sa relation avec le duc de Guise est de très mauvais augure, et il tente de l'en dissuader car « il pronostiquait aisément que ce commencement de roman ne serait pas sans suite », ce qui illustre bien le fait que le comte de Chabannes a conscience du danger que représente le duc de Guise et que cette relation ne rendrait la princesse que malheureuse.

Dans le film, le costume du comte de Chabannes se compose d’un pourpoint noir dont les épaulettes sont ornées de motifs dorés, d’une chemise noire également et d’un haut de chausses noir, lui orné de motifs dorés. Mais il ne porte ni col, ni fraise, son costume est très simple et même austère, comparé aux autres. Ses seuls accesoires sont une cape noire, un chapeau noir et un porte-épée.

 

Le thème de la passion étant un sujet privilégié au XVIIe siècle, Madame de Lafayette se sert du personnage de Chabannes pour en faire un parfait exemple d’esclavage des passions. Il résume à lui seul la contradiction du XVIIe siècle, qui dans sa première moitié a cultivé l’héroïsme et la prétention à gouverner le réel par la rationalité, mais qui, dans sa deuxième moitié, constate avec pessimisme la misère de l’être humain et sa faiblesse par rapport aux passions. En effet, la passion le dégrade, elle le rend passif, et le mène à des excès qui lui seront fatales.

Ce faisant, Madame de Lafayette se sert aussi du personnage de Chabannes pour s’opposer à l’optimisme cartésien, pensée énoncée par le philosophe René Descartes, qui prétend résister aux passions en restant maître de ses actes et en suivant le chemin de la vertu. Pourtant, même si le comte a réussi à combattre sa passion durant un an, il finit par tout avouer à la princesse et c’est cette même passion qui le conduira à effectuer les mauvais choix. C’est ainsi que Madame de Lafayette démontre avec Chabannes que le cartésianisme a des prétentions impossibles a atteindre, pessimisme qui est typique de la pensée janséniste.

Enfin, le comte de Chabannes sert aussi de porte-parole à l’auteur afin de dénoncer l’horreur des guerres civiles, notamment par l’exemple du massacre de la Saint-Barthélémy, au cours duquel notre héros perd lamentablement la vie.

 


Présentation réalisée par Lila Bruandet, Angelina Plazas et Safia Saiah, TL2 - Novembre 2018.