« De jour en jour Paul Éluard s'affirme comme le vrai poète de sa génération. Déjà son influence est grande, car il n'hésite pas à violer les stupides frontières que d'aucuns tentent de lui imposer - il n'hésite jamais à rentrer en lui-même. La simplicité de son chant et sa sensibilité douloureuse nous touchent infiniment. Sa voix est nuancée, mais elle reste humaine et chaude. La grandeur de Paul Éluard est toute dans son œuvre qui a sans cesse dépassé le programme surréaliste - elle l'a souvent même implacablement dominé.

Aujourd'hui encore le poète de La rose publique nous en donne une preuve nouvelle, éclatante. Pour un recueil de dessins assez dépouillés, assez pauvres, il a écrit une série de poèmes extrêmement délicats et purs. Il a su tirer de lignes et d'images indécises, primaires, une vie dense, une couleur poétique et rare. Quelques vers de Paul Éluard suffisent pour échauffer l'imagination du lecteur et pour lui faire oublier la richesse insidieuse qu'évoque sans raison le photographe en liberté :

Dans la paume du village
Le soir vient manger les grains
Du sommeil animal

ou mieux encore :

Prends garde c'est l'instant ou se rompent les digues
C'est l'instant...
Où l'on joue...

N'est-ce pas un remarquable tour de force que d'accoupler au dessin un poème ? Seul un très grand poète pouvait peut-être l'essayer, sans se diminuer. Parce que Paul Éluard est plus solide que toutes les écoles, les amateurs ne seront pas déçus...»


Article d'André Silvaire dans Messages, janvier-février 1938, n°1, pp.29-30.