François Mitterrand - Le Coup d'Etat permanent (1964)

François Mitterrand a rencontré de Gaulle en 1943 à Alger, et l'a retrouvé en 1944 à Paris, où il a exercé le poste de Secrétaire général des prisonniers et des victimes de guerre dans le gouvernement provisoire. De Gaulle fait une allusion peu amène à son action (mais sans le nommer) dans le chapitre Désunion (pp.293-294 du tome III).

Plusieurs fois ministre sous la IVe République, il s'oppose à de Gaulle en 1958, refuse de voter la confiance et appelle à voter Non au référendum d'octobre. Plus tard en 1962, il appelle encore à voter Non au référendum sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Il publie un essai-pamphlet, Le Coup d'Etat permanent, chez Plon en 1964.


Les temps du malheur sécrètent une race d'hommes singulière qui ne s'épanouit que dans l'orage et la tourmente. Ainsi de Gaulle, réduit à briller aux dîners mondains et à se pousser dans les cabinets ministériels de la IIIe République, étouffait-il à respirer l'air confiné d'une époque figée dans sa décadence. Mais le désastre où s'abîma la France ouvrit d'un coup ses fenêtres et il put se saouler à son aise au grand vent de l'Histoire. Ce fut pour lui comme une délivrance. A la souffrance qui le poignit au spectacle de sa patrie pantelante se mêla l'exaltante certitude d'avoir enfin reçu le signe du destin et d'être prêt à l'assumer.

Bayard jeunesse - Collection Grands personnages

Pour ces deux compagnons, ces inséparables amis-ennemis, de Gaulle et le malheur, commença, avec le solstice de juin 40, une saison qui dure encore. Lequel fut le plus nécessaire à l'autre ? La guerre et la défaite permirent à de Gaulle de déployer son envergure, de dominer de la voix la clameur des tempêtes, de faire de sa volonté le roc sur lequel courants et ressacs se brisèrent. Au fort de ce rude corps à corps dont il gagna le premier round il apprit de son partenaire la gamme des coups sans lesquels tout candidat à la direction des sociétés humaines reste un novice. Il s'en fallut pourtant de peu que, muni de ce bagage et la guerre finie, il ne rencontrât point l'occasion d'en user. En effet, quand, la France libérée, il détint, et pleinement, le pouvoir, mais un pouvoir dolent après tant de fatigues, un pouvoir monotone après une telle fête d'événements, un pouvoir ennuyeux avec les vacances de la tragédie, il s'en lassa tout aussitôt. Comme l'alun qui manque à l'apprêt pour fixer la couleur du tissu, le malheur manquait à de Gaulle pour mordre sur la trame de la politique française. Aussi laissa-t-il le métier en plan et Gouin sur le tas. Et partit un peu plus loin méditer sur les inconvénients des mers calmes, du vent qui tombe et du goût insipide qu'ont les hommes pour le bonheur à la petite semaine.

De Gaulle à Antibes en 1946

© Plon, 1964, pp. 35-36