Françoise Giroud - Si je mens (1972)

Femme engagée dans la Résistance, contre la guerre d'Algérie ou dans les combats féministes, Françoise Giroud fonde l'Express en 1953 avec Jean-Jacques Servan-Schreiber. A la fin de son livre d'entretiens avec Claude Glayman, publié en 1972, elle évoque un certain nombre de figures politiques, en particulier de Gaulle.


Il reste que son départ a été superbe.

Hitler, lui, a essayé de tuer l'Allemagne plutôt que de la laisser à un autre. L'analogie vous choque ? C'est de Gaulle lui-même qui la suggère, sur le plan précis où je la pose. Relisez ce qu'il écrit dans Le Salut... Je ne peux pas citer de mémoire, il faut retrouver la phrase exacte, elle en vaut la peine.

La voici : « Cet homme parti de rien s'est offert à l'Allemagne au moment où elle éprouvait le désir d'un amant nouveau. Elle s'était donnée au passant inconnu qui représentait l'aventure, promettait la domination et dont la voix passionnée remuait ses instincts secrets... Hitler, s'il était fort, ne laissait pas d'être habile. Il savait leurrer, caresser. L'Allemagne, séduite au plus profond d'elle-même, suivit son Führer d'un élan. »


Jacques Faizant - Entre-deux tours de la présidentielle de 1965
Après une interview de Michel Droit

Peut-on dire plus clairement comment on conçoit les rapports d'un homme et d'une nation ? Peut-on mieux dire ce qu'est la quête du pouvoir, et quel assouvissement on y cherche ?

Les métaphores ne viennent pas sous la plume par hasard. Amant, domination, caresse... A ce point-là, c'est presque trop beau. Et ce n'est rien à côté du texte qu'il a inséré délibérément, en 1959, en tête des annexes du Salut. L'Ode de Claudel, en forme de dialogue entre la France et de Gaulle. Ecoutez plutôt comment il plaît à de Gaulle que la France parle :

« Mais dis-moi que ça ne finira pas cette connaissance à la fin qui s'est établie entre nous !
« Le reste, ça m'est égal, mais toi demande-moi cette chose qui n'est pas autre chose que tout !
« Ils ont cru se moquer de moi en disant que je suis femme! Le genre de femme que je suis, ils verront, et ce que c'est dans un corps que d'avoir une âme !
« Ils m'ont assez demandé mon corps et toi, demande-moi mon âme ! »
Et le général de répondre :
« Femme, tais-toi ! »

On peut rire, s'indigner, ou vibrer d'aise, si l'on est de ceux qui se sentent en état de dire à un président de la République quel qu'il soit : « Mais dis-moi que ça ne finira pas cette connaissance à la fin qui s'est établie entre nous... »

Toute relation intense avec le pouvoir est un avatar de la sexualité. Mais cela se voit plus ou moins. Le jour d'avril 69 où le général a dit : « Femme, réponds... », ça a mal tourné. Il fallait bien que cela arrive.


© Stock, 1972, pp. 233-234