Le Salut (1959) - passim

"Vers la France libérée, tous les Etats portaient leurs regards. Cette nation, que depuis tant de siècles on voyait à la première place, qui hier s'était effondrée dans un désastre invraisemblable, mais pour qui certains de ses fils n'avaient pas cessé de combattre, qui aujourd'hui se déclarait souveraine et belligérante, dans quel état reparaissait-elle, quelle route allait-elle prendre, à quel rang la reverrait-on? [...] Or on devait convenir qu'elle tournait bien. Point de guerre civile, de soulèvement social, de désordre militaire, de déroute économique, d'anarchie gouvernementale. Au contraire ! Un pays retrouvant l'équilibre, malgré sa misère, empressé à se reconstruire, développant son effort de guerre, sous la conduite d'un gouvernement incontesté, voilà, en dépit des ombres, le spectacle que nous offrions aux autres." (p.57-58)

"La France contribuait à sa propre libération avec des forces importantes, un gouvernement solide, une opinion rassemblée. Elle avait, désormais, la certitude d'être présente à la victoire. Mais il était trop évident qu'elle se trouverait, alors, réduite à un tel état d'affaiblissement que sa situation dans le monde, l'adhésion de ses terres outre-mer et même les sources de sa vie en seraient compromises pour longtemps. A moins qu'en cette occasion - la dernière peut-être - elle ne refît sa puissance. C'est à quoi je voulais aboutir." (p.60)

"La mission qui me fut inspirée par la détresse de la patrie se trouve, maintenant, accomplie. Par une incroyable fortune, il m'a été donné de conduire la France jusqu'au terme d'un combat où elle risquait tout. La voici vivante, respectée, recouvrant ses terres et son rang, appelée, aux côtés des plus grands, à régler le sort du monde. De quelle lumière se dore le jour qui va finir ! Mais comme ils sont obscurs les lendemains de la France ! Et voici que, déjà, tout s'abaisse et se relâche. Cette flamme d'ambition nationale, ranimée sous la cendre au souffle de la tempête, comment la maintenir ardente quand le vent sera tombé ?" (p.214)

"En accomplissant les mêmes rites où j'avais figuré une année auparavant, en entendant les propos des mêmes ministres, grands chefs, fonctionnaires, en écoutant les questions des mêmes représentants de la presse, je constatai combien, aux yeux du monde, la France s'était redressée. Lors de mon précédent voyage, on la regardait encore comme une captive énigmatique. On la tenait, à présent, pour une grande alliée blessée, mais victorieuse, et dont on avait besoin." (p.250)

"Affecter de craindre que j'étouffe la République, quand je la tirais du tombeau, était simplement dérisoire. Alors qu'en 1940 les partis et le Parlement l'avaient trahie et reniée, moi "j'avais relevé ses armes, ses lois, jusqu'à son nom" (p.315).

"Si, décidément, le "parti" n'avait pu en saisir l'occasion, c'est parce que je m'étais trouvé là pour incarner la France tout entière. Par contre, en l'associant à la libération de la patrie et, ensuite, à son redressement, je lui avais donné le moyen de s'intégrer dans la communauté. Maintenant, le peuple lui accordait une audience considérable mais non le droit à la domination. Choisirait-il d'être l'aile marchante de la démocratie française ou bien un groupe séparé que des maîtres étrangers utiliseraient du dehors ? La réponse allait, pour une part, dépendre de ce que serait la république elle-même. Forte, fière, fraternelle, elle apaiserait peut-être, à la longue, cette révolte. Impuissante et immobile, elle déterminerait cette force à devenir centrifuge." (p.322)

Pour moi, ayant fait le compte de mes possibilités, j'avais fixé ma conduite. Il me revenait d'être et de demeurer le champion d'une République ordonnée et vigoureuse et l'adversaire de la confusion qui avait mené la France au gouffre et risquerait, demain, de l'y rejeter. Quant au pouvoir, je saurais, en tout cas, quitter les choses avant qu'elles ne me quittent" (p.324)

"Vieille France, accablée d'Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau !
Vieil homme, recru d'épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l'ombre la lueur de l'espérance !" (p.345)